Le Japon et la Corée, proches ou lointains ?

Ceci est un article invité de Maya du blog « Apprendre le coréen avec Maya ».
Merci infiniment à Sophie de m’avoir laissé une page pour cet article invité. Cela me fait grand plaisir d’échanger avec elle à travers les langues asiatiques que nous enseignons.

Il y a deux mois Sophie a écrit un bel article « mes meilleurs conseils pour apprendre une langue asiatique depuis la France » pour mon blog. Depuis, je me suis demandé longtemps : “sur quoi j’écris? Elle a déjà tout dit !” 😀
Par ailleurs en tant que coréenne, j’avais trop accumulé d’infos et d’émotions sur le Japon. Il m’a fallu beaucoup de temps pour commencer à écrire. Ici je voudrais vous montrer comment le japonais est proche du coréen et quelle est la relation entre les deux pays.

Des similitudes linguistiques

La Corée est le premier pays voisin le plus proche du Japon. Sinon, de l’autre côté, c’est l’océan. Il faut 2 heures 20 minutes en avion pour relier les deux capitales : Séoul et Tokyo. D’ailleurs plusieurs mots de vocabulaire et la grammaire se ressemblent dans les langues des deux pays. Par exemple comparons la phrase “Je suis coréen-ne” en chinois, en japonais et en coréen.

  • En chinois, “韓国人” ( shì hánguó-rén)
  • En japonais, “韓国人です” (Watashi-wa kangokujindesu)
  • En coréen, “한국인입니다.” (Jeo-neun hanguginimnida)

signifie moi. aussi, mais humblement comme . est le verbe “être” comme です et 입니다. 韓國人 est un coréen, une coréenne ou DES coréens. Pour le rendre plus visible, j’ai mis dans la même couleur les mots qui ont le même sens. Voyez-vous clairement la structure des langues?

La phrase en chinois suit le même ordre que l’anglais ou le français : sujet – verbe – attribut du sujet. Le japonais et le coréen ont la même structure : sujet – attribut du sujet – verbe. Dans les deux dernières langues, le verbe est toujours à la fin.
Ensuite “wa” et “neun” ne sont pas coloriés parce que cela ne se retrouve ni en français ni en chinois. Ceci est un des points communs entre le japonais et le coréen : la particule. Elle désigne la fonction des mots dans la phrase. “wa” et “neun” sont les particules de sujet. C’est-à-dire que le nom précédant la particule, 私 ou 저, est le sujet, jamais C.O.D, ni C.O.I.

Étant donné que les trois pays partagent 漢字 (les caractères chinois), la prononciation des mots se ressemble, comme le français et l’italien partagent le latin. En japonais on les appelle Kanji et en coréen, Hanja. Les mots coréens basés sur Hanja s’appellent “sino-coréen”. Vous seriez véritablement étonné-e de découvrir de nombreux mots similaires entre le japonais et le coréen. Par exemple, 暗記 (anki), la mémorisation en japonais, est 암기 (amgi) en coréen. Regardez le tableau du vocabulaire dont la prononciation est étonnement similaire :

Mot japonaisMot coréenSignification
きょうかしょ (教科書)
kyôkasho
교과서
gyowaseo
manuel, livre de classe
とし (都市)
toshi
도시
dosi
ville
きょり (距離)
kyori
거리
geori
distance; intervalle
としょかん (図書館)
toshokan
도서관
doseogwan
bibliothèque
ふまん (不満)
fuman
불만
bulman
mécontent, insatisfait
ちゃ (茶)
cha

cha
thé
さぎ (詐欺)
sagi
사기
sagi
escroquerie
まんぞく (満足)
manzoku
만족
manjog
satisfaction
こうそく (高速)
kōsoku
고속
gosog
grande vitesse
かばん (鞄)
kaban
가방
gabang
sac
みんぞく (民族)
minzoku
민족
minjog
peuple, ethnie
かそく (加速)
kasoku
가속
gasog
accélération
いしき (意識)
ishiki
의식
uisig
conscience
かぞく (家族)
kazoku
가족
gajog
famille
じかん (時間)
jikan
시간
sigan
temps; heure
むいしき (無意識)
muishiki
무의식
muuisig
inconscience
いっぱん (一般)
ippan
일반
ilban
général, ordinaire
いみ (意味)
imi
의미
uimi
signification, sens
いしゃ (医者)
isha
의사
uisa
chaise
あんしん (安心)
anshin
안심
ansim
soulagement
さんそ (酸素)
sanso
산소
sanso
oxygène
むり (無理)
muri
무리
muri
déraisonnable, impossible
さんぽ (散歩)
sanpo
산보
sanpo
promenade, balade
ちえ (知恵)
chie
지혜
jihye
sagesse, intelligence
ろんり (論理)
ronri
논리
nonli
logique
じゅうみん (住民)
jūmin
주민
jumin
habitants, résidents
ちきゅう (地球)
chikyū
지구
jigu
Terre
どうぐ (道具)
dōgu
도구
dogu
instrument, outil
なんみん (難民)
nanmin
난민
nanmin
réfugiés
よゆう (余裕)
yoyū
여유
yeoyu
marge, réserve,
りょうり (料理)
ryōri
요리
yori
cuisine
かんたん (簡単)
kantan
간단
gantan
simple
じゅんび (準備)
junbi
준비
junbi
préparatif
きかん (期間)
kikan
기간
kigan
période
みんよう (民謡)
minyō
민요
minyo
chant folklorique

(La source de tableau : 한국번역연구소)

Mais les coréens écrivent le Hanja avec des caractères originaux. Par exemple prenons le caractère chinois qui signifie ‘un pays’, les coréens écrivent ainsi 國 (11 traits). Par contre les deux autres pays, quand ils les écrivent dans leur vie quotidienne, simplifient l’écriture comme 国 (8 traits) ou encore tout simplement en 5 traits :

« Pays » en caractère chinois le plus simplifié

Le pays proche, également lointain

Linguistiquement et géographiquement le Japon et la Corée sont proches. Mais historiquement et géopolitiquement ils sont éloignés. Etant donné que la Corée se trouvait être, pour le Japon, le premier pays étranger en direction du continent, le Japon l’a attaquée de nombreuses fois. Pour la Corée, le Japon est « le pays proche, également lointain (가깝고도 먼 나라) ». En bref la relation entre les deux pays est comme une sauce aigre-douce ou “les nuits avec mon ennemi”.

 Permettez-moi de vous expliquer brièvement l’histoire entre le Japon et la Corée.

Au XVe siècle, des délégations diplomatiques ont circulé entre les deux pays. Mais la Guerre d’Imjin a dévasté la Corée pendant neuf ans de 1592 à 1598. Elle a permis à l’Amiral YI Sun-sin de devenir un héros et interrompu la relation diplomatique entre les deux pays.

Au début du XVIe siècle, Shogunat Tokugawa a fait un geste de paix en proposant de rendre les otages coréens et en demandant de lui envoyer une délégation culturelle. Alors la mission « Joseon Tongsinsa (朝鮮通信使) » a été envoyée de Corée au Japon en 1607.

Parmi 300 ou 500 délégués, il y avait des peintres, des poètes, des danseurs, des musiciens, des traducteurs, et des médecins. Les Joseon Tongsinsa ont été accueillis comme des VIP de première classe. La Corée a transmis la « K-culture », Hallyu (韓流), au Japon. Par contre elle a importé des patates douces : サツマイモ (satsumaimo) en japonais et 고구마 (goguma) en coréen. Les deux mots désignent la même plante mais ont un son complètement différent.

Le parcours de Joseon Tongsinsa de Hanyang (한양, ancien Séoul) à Edo (에도, ancien Tokyo) La source : Joseon Tongsinsa, l’archive de 2006 jours pour l’inscription au Registre Mémoire du monde de l’UNESCO, Busan Cultural Foundation (2018)

Il a fallu de six mois à un an à Joseon Tongsinsa pour faire le parcours de 4,500km sur terre et sur mer. Ils ont fait l’aller-retour de Hanyang, ancien Séoul, à Edo, ancien Tokyo en passant par Busan (부산), Tsu-shima (쓰시마), Osaka (오사카) et Kyoto (교토). Douze missions Joseon Tongsinsas ont traversé l’océan Pacifique de 1607 à 1811. Pendant ces 200 ans, il n’y a pas eu de guerre entre les deux voisins.

  Pourtant cette période de paix s’est terminée en 1876 à cause du Traité Ganghwa entre le Japon et la Corée. C’est le premier des traités inégaux signé par la Corée. Au XXe siècle le Japon a envahi la Corée et d’autres pays asiatiques y compris la Chine et le Vietnam. Cette invasion a pris fin avec la fin de la deuxième Guerre Mondiale et les deux bombardements nucléaires à Hiroshima et à Nagasaki. Le 15 août 1945 la Corée a enfin retrouvé la liberté au bout de 35 ans d’invasion japonaise.

  Contrairement à la relation entre la France et le Royaume Uni qui se sont affrontés pendant la Guerre de Cent Ans, les relations entre le Japon et la Corée sont encore politiquement tendues. Parce que pendant l’occupation, le Japon a obligé les coréens à japoniser leur nom et leur prénom et à parler le japonais. Il s’est efforcé de détruire la langue, la culture et l’esprit de Corée. Regardez la bande d’annonce du film « Mal-mo-ï : The Secret Mission » qui est sorti en janvier 2019 en Corée du Sud. Vous pouvez y entendre le japonais et le coréen.

    De nos jours deux sujets principaux ne sont toujours pas résolus : des esclaves sexuelles au nom des femmes de réconfort pendant la WW2 et le conflit territorial autour des îles Dokdo (독도). Essayez de regarder sur plusieurs cartes mondiales comment elles sont marquées : Dokdo en coréen dans la mer de l’Est ou Takeshima (竹島) en japonais dans la mer du Japon. Je vous invite à lire ces deux liens :

Il est à noter qu’après la guerre l’Allemagne n’a pas enterré l’Holocauste dans l’ignorance. Elle a condamné à mort les criminels de la guerre et s’est excusé auprès des juifs. De plus elle a construit un musée sur cette partie de son histoire afin de ne pas répéter les erreurs du passé. Ce n’est pas tout. Les enfants allemands apprennent l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale à l’école comme les autres enfants européens. Mais ce n’est pas le cas du Japon. C’est ce que les pays asiatiques attendent du Pays du Soleil-Levant depuis un demi-siècle.

L’espoir pour la paix

Malgré tout depuis une quinzaine d’années, des ONG japonaises et coréennes ont coopéré pour faire revivre Joseon Tongsinsa sous la forme d’un festival. Pendant mon dernier voyage en Corée en mai 2019, le festival a eu lieu au sud-est de la Corée du Sud. J’avais envie de le voir mais il n’y avait plus de billet de bus ou de train de Séoul à Busan. Enfin j’ai dû prendre un train sans place assise pendant cinq heures.

La cérémonie s’est déroulée en coréen et en japonais. Des chanteurs et des danseurs étaient venus des deux pays. Des jeunes japonais ont dansé de tout leur cœur et chanté ensemble avec des jeunes coréens. Des spectacles vivants étaient programmés dans plusieurs coins de la ville. J’ai également visité un petit musée sur Joseon Tongsinsa. C’est lui qui m’a fourni des archives de son exposition.

Dans la vidéo ci-dessous, les jeunes en bleu sont japonais et en rouge, coréens.

Enfin les deux ONG coréennes et japonaises ont réussi à inscrire les documents de Joseon Tongsinsa au Registre Mémoire du monde de l’UNESCO en octobre 2017. Parce que les Joseon Tongsinsa sont l’histoire du maintien de la paix et des échanges culturels entre la Corée et le Japon du XVIIe au XIXe siècle.

Selon vous, entre la réalité et la mémoire, la paix pourrait-elle s’installer entre le Japon et la Corée ?

La plus ancienne peinture qui décrit Joseon Tongsinsa, 1624. Artiste inconnu, 32.2 cm x 945.4 cm, Bibliothèque Nationale de Corée.
Sophie - Cours de Japonais

Sophie, professeur de japonais depuis 2013, a créé sa formation OBJECTIF JAPON en 2020 et a accompagné depuis des milliers d’élèves dans leur apprentissage du japonais. Sur son site et sur les réseaux, elle partage les astuces qui lui ont permis d’apprendre elle-même le japonais.

6 commentaires

  • Steph

    Je crois que les coréens ne regardent que les mauvais côtés de ce qu’ont fait les japonais. Certe,les Coréens apprendront ce qu’ont fait les japonais en partie, mais pas tout. Les japonais ont fait des dégâts mais également ils ont accordé les compensations après la guerre que le gouvernement coréen a reçu et décide de ne pas en utiliser pour indemniser les femmes de réconfort ou autres. Pour le côté japonais, c’est donc la question purement intérieur de la Corée. Aussi, de nombreux dirigeants japonais ont fait leurs excuses jusqu’à aujourd’hui mais les coréens ne s’en sont toujours pas satisfaits et exigent toujours plus de excuses. Excuses, excuses encore excuses. Et le probleme c’est que les coréens ne sont pas au courant de ces faits et de point de vue des japonais parce que leur éducation est mal équilibrée et pratiquement anti Japonais. Pour finir, il convient de noter que la relation entre la France et le Grande Bretagne n’est pas équivalent de celle du Japon et la Corée. Elle devrait être comparé plutôt avec la relation entre la France et des pays africains auparavant colonisés par la France. Et justement c’est sur ce point que la Corée se trouve dans un dilemme parce qu’elle n’est pas vainqueur de la guerre comme la Chine d’après le traité international de San Francisco puisqu’elle faisait partie du Japon en temps de guerre même si elle s’en flatte à sa guise.

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