Devenir professeur de français au Japon : le bon plan quand on désire s’installer dans le pays ? Depuis la réouverture du pays post-covid, de nombreux Français rêvent de s’expatrier au Japon, pensant enseigner le français sur place.
Pourtant, le parcours est loin d’être aussi facile qu’on le pense.
Sam, professeur de français au Japon depuis plus de 12 ans, a accepté de répondre à nos questions aujourd’hui ! Suite à un premier séjour de 10 jours en 2008, le Français à un gros coup de coeur pour le pays. Il y passe toutes ses vacances, y rencontre sa femme et veut s’y installer définitivement. Il découvre alors le métier de professeur et c’est un second coup de cœur.
PS — Je vous conseille de consulter en complément notre article plus général sur le statut de professeur de français au Japon.
Interview d’un professeur de français au Japon
🎤 On connaît le parcours typique pour devenir professeur de français à l’étranger. Quelles qualifications avais-tu avant de venir au Japon ?
Aucune ! J’avais un DEUG de physique puis j’ai fait une prépa pour les concours administratifs. J’ai travaillé pendant 9 ans dans une administration, donc je n’avais vraiment rien du tout, aucun bagage. Je n’ai même pas fait d’études de lettres.
🎤 Du coup, pourquoi prof de français ?
Parce que c’était la solution de facilité en arrivant ici. J’étais venu pour étudier le japonais, mais concilier les études et le travail, c’est difficile. En tant que professeur de français, je pouvais faire des heures un peu quand je voulais. J’ai commencé sans trop de conviction, juste pour voir comment ça se passait. La première année je me suis inscrit sur un site qui mettait en relation des élèves et des professeurs. Bien sûr je demandais vraiment le tarif minimum au début. Je devais également me déplacer très loin pour donner ces cours, ça ne valait presque pas le coup d’y aller vu le prix des transports. Mais c’était de l’expérience accumulée.
Ça s’est bien passé et puis, petit à petit, j’ai eu plus d’élèves. Après mon année d’école de japonais je me suis dit : prof de français ça me plaît ! J’ai un bon contact avec les élèves, j’aime bien le côté pédagogique, je veux un travail dans lequel je peux avoir des contacts avec des Japonais. Finalement, être professeur de français ça me correspondait bien !
🎤 Une fois la décision prise, quelles ont été tes démarches ?
J’ai cherché sur internet “école de français Yokohama” et j’ai trouvé une école qui recrutait. J’ai donc passé un entretien, j’ai été pris et j’y suis toujours.
🎤 Est-ce que tu penses que c’est plus facile de trouver ce genre de travail en dehors de Tôkyô ou c’est une question de moment, de chance ?
Je suis arrivé au Japon le 31 janvier 2010. 3 mois après, il y a eu le tremblement de terre et la catastrophe de Fukushima. De nombreux Français sont alors partis. À cette époque, que ce soit à Tôkyô ou non, il y avait donc beaucoup de demandes pour des professeurs de français et assez peu de personnes pour y répondre.
🎤 Sur le site que tu as utilisé, il n’y avait aucune exigence de diplôme d’enseignement ?
Non ! Les sites comme ça ne demandent aucune qualification. SenseiNavi.com, Gitsl.com, HelloSensei.com, Getstudent.net, Mysensei.com… je les avais tous trouvés en faisant des recherches en anglais ou en japonais. De toute façon il y a une version anglaise pour les profs et une version japonaise pour les élèves. C’est donc simple de se créer un compte.
Avant, cela fonctionnait très bien, je faisais 50 heures de cours par semaine. Je travaillais le dimanche, le samedi (entre l’école et les cours dans les cafés). Honnêtement maintenant ces sites marchent de moins en moins.
🎤 Pourquoi ?
Il y a eu le Covid, le yen est trop faible, la France fait de moins en moins rêver… il y a donc de moins en moins de Japonais qui étudient le français. Ce n’est pas un métier d’avenir !
Pendant très longtemps les Japonais n’ont eu vent que de mauvaises nouvelles concernant la France (attentats, manifestations, etc.). Mais peut-être que les JO de 2024 vont relancer un peu l’intérêt ?
Dans beaucoup de pays, le français est une langue utile pour le travail, ici pas du tout. Apprendre le français, c’est comme faire du yoga ou une cérémonie du thé : c’est un loisir.
🎤 Quelles sont pour toi les conditions « sine qua non » pour devenir professeur de français au Japon ?
Avoir un bon contact, être souriant, savoir s’adapter à son public. Dans mon école on a déjà eu des candidats qui avaient des masters de FLE, mais qui étaient incapables d’expliquer quelque chose clairement à un élève. Je sais que ces masters sont de plus en plus demandés dans les écoles, à l’Institut français, etc. Mais ça ne fait clairement pas tout ! Je me souviendrais toujours, un jour, on avait demandé à une personne venue en entretien : “les élèves sont des débutants complets. Ils ne connaissent que l’alphabet. Faites-leur une leçon très simple.” Malgré nos précisions, cette personne a passé 10 minutes a tenter d’expliquer en français complet ce qu’était un article indéfini, etc. Les élèves ne comprenaient absolument rien.
Ils viennent là plus pour passer un bon moment que pour parler avec un spécialiste de la grammaire, il ne faut surtout pas l’oublier !
Avec l’arrivée de l’IA et des traductions automatiques, l’intérêt du professeur résidera avant tout dans cette capacité à faire passer un bon moment à l’élève, dans cet aspect “humain”.
Il faut aussi que je précise quelque chose de très important ! Beaucoup de personnes très jeunes viennent me dire “j’aimerais être prof de français au Japon”. Mais malheureusement, l’âge est un important prérequis ! Je pense que si tu n’as pas au minimum 25 ans c’est plus difficile de trouver du travail.
🎤 C’est une question d’apparence ? De diplôme ?
Oui, la plupart du temps il faut au minimum un diplôme universitaire pour enseigner au Japon. Si tu n’as que le bac, même si tu parles parfaitement français, tu ne trouveras probablement pas de travail en écoles.
Même si tu as le diplôme FLE, si tu n’as pas de diplôme universitaire, on ne t’embauchera pas. Parce que la majorité des Japonais ont fait 4 ans de fac. Pour eux, avoir un professeur moins diplômé qu’eux c’est étrange. Si tu as fait une licence, ou un DEUG comme moi, ça peut passer. Avoir plus de 25 ans c’est vraiment conseillé, de nombreux élèves ont 40 ou 50 ans, alors avoir un professeur de 22 ans en face d’eux ça peut ne pas leur convenir. En plus à cet âge-là, on a moins d’assurance et de maitrise.
🎤 En toute sincérité, penses-tu que l’apparence du candidat, couleur de peau par exemple, va jouer sur ses chances d’être embauché comme professeur de français ?
Au Japon l’apparence est très importante. Les Japonais qui apprennent le français veulent un professeur qui corresponde à l’image qu’ils ont de la France, qui ne correspond pas forcément à la réalité. Dans certains endroits, pour un certain public, je pense que si ton apparence correspond moins à l’image qu’ils ont de la France, cela peut jouer sur tes chances d’être embauché.
L’accent peut aussi être un problème. Une fois, nous avons eu un candidat québécois avec un accent très marqué, qui utilisait des anglicismes aussi. Les gens apprennent le français parce qu’ils aiment la culture française. Si l’on est francophone de France, que l’on correspond au “stéréotype du Français ou de la Française” c’est clairement un plus. Je connais quelques profs suisses ou belges, ça dépend si leur accent est marqué ou pas. J’ai eu aussi des collègues marocains, etc. Donc je ne pense pas que cela soit impossible.
🎤 Au niveau du processus administratif, du visa, comment ça se passe ?
Tu peux avoir le visa de travail, mais c’est très rare. Les écoles se donnent rarement la peine de faire un visa pour un professeur de français. La plupart des professeurs de FLE résident au Japon avec le visa d’époux ou de résident permanent. Il ne faut pas s’attendre à avoir facilement un visa en tant que prof.
Et puis, il y a de moins en moins d’apprenants du français et de plus en plus de Français qui viennent au Japon. Donc pour les écoles c’est beaucoup plus simple de prendre des gens en PVT, en visa étudiant ou des gens mariés.
🎤 La baisse du nombre d’apprenants est très forte ?
Je n’ai pas de chiffres sur le Japon de manière générale, mais de ma propre expérience et de celle de mes collègues, dans les lycées et les facultés il y a de moins en moins de classes de français. Même avant le COVID, de nombreux lycées ont fermé leurs classes de français. Après, il faut dire que la chute de la natalité au Japon entraine de toute façon la fermeture de plus en plus de classes en général.
Et puis le français intéresse de moins en moins. Ça intéressait les gens dans les années 60-70, mais maintenant la culture française ne rayonne plus jusqu’ici. Avant on parlait au Japonais d’Alain Delon, de Brigitte Bardot, d’Alain Resnais, Gainsbourg, Aznavour, et ça les faisait rêver. Maintenant si un Japonais arrive à te citer Mbappé et Macron, c’est déjà incroyable. Dans mon école, postcovid, on a dû perdre au moins 30 à 40% des effectifs.
Avant la baisse du yen, c’est le voyage en France qui motivait les gens à apprendre la langue. Après, il y a des élèves à la retraite qui apprennent ça en loisir, mais aussi des gens qui ont des petits-enfants français et qui veulent communiquer avec eux.
Les offres que je vois maintenant dans certaines écoles sont même moins bien payées qu’il y a 10 ans, car il y a trop de professeurs et pas assez d’élèves. Moi je conseille toujours aux gens qui veulent faire professeur de français de devenir prof d’anglais !
🎤 Ah oui ? Pourquoi ?
L’anglais, il y a énormément de demandes. Les parents veulent que leurs enfants soient bons en anglais. Ça commence dès l’école maternelle. Les étudiants apprennent l’anglais et les gens qui travaillent apprennent l’anglais pour passer le TOEIC. Donc de 0 à presque 60 ans, beaucoup de monde apprend l’anglais. Contrairement au français, c’est un apprentissage nécessaire. Quand j’étais au lycée public, il y avait des Français qui étaient professeurs d’anglais. Professeur de français au Japon, il n’y a pratiquement pas de temps plein. Ça prend donc pas mal de temps avant de gagner sa vie correctement.
J’ai vu une annonce pour un temps plein il n’y a pas longtemps, et c’était payé 220 000 yens par mois (environ 1350€) pour 30 heures par semaine. Ce n’est vraiment pas beaucoup pour vivre à Tôkyô, payer son loyer, ses factures, les transports, etc.
🎤 Est-ce que tu as trouvé ici une communauté d’entraide entre professeurs de français, un réseau spécifique ?
Non. Le réseau, il faut se le faire soit même en bossant un peu partout. Voilà pourquoi avoir un bon contact est très important. Pour beaucoup de postes, les écoles recrutent d’abord au bouche-à-oreille, demandent aux gens s’ils “connaissent quelqu’un” avant de diffuser une annonce plus largement.
🎤 Quelles différences vois-tu entre enseigner en école privée, en lycée, en cours particuliers ?
En cours privés ou écoles privées, les gens sont motivés, c’est eux qui payent ! Ton public est donc actif. Alors qu’au lycée, j’ai l’impression que beaucoup d’élèves ont pris le français par dépit. C’est dur de les motiver et c’est beaucoup plus fatigant.
Côté administratif et direction, il n’y a pas d’exigences. C’est nous qui créons les examens, décidons de comment organiser nos cours. Il n’y a pas de points de grammaires spécifiques à faire apprendre ou d’exigences particulières, etc. Bien sûr, dans les écoles sérieuses, ton niveau de français est vérifié au début. Dans mon école, nous avons des documents en commun, mais en dehors de ça, il n’y a pas vraiment de contrôle sur ton travail en tant que professeur.
🎤 Tu préfères quoi : les cours en café ou travailler pour une école ?
Les cours dans les cafés, c’est moins stable, mais plus sympa. Tu développes une relation personnelle avec les élèves. C’est beaucoup de conversations, même quand ils sont débutants. C’est aussi l’occasion pour moi de parler japonais. Dans les écoles j’évite, et c’est plus dur de créer du relationnel.
🎤 Il faut donc parler japonais !
Oui c’est vital ! À mon avis il vaut mieux avoir un niveau de JLPT N3 ou plus. Il faut être capable d’expliquer aux élèves des notions ou des mots en japonais. Comment faire sinon pour avoir une vraie communication avec eux lorsqu’ils sont complets débutants et savent seulement dire “je m’appelle…” ?
Il y a d’ailleurs des élèves qui demandent explicitement un professeur qui parle japonais.
🎤 Quel est le plus gros défi d’un prof de français au Japon ?
Le plus gros défi en tant que professeur de français au Japon c’est de garder un revenu fixe. Tu peux avoir de grosses chutes de salaire d’un coup avec les classes qui ferment, les contrats non renouvelés, etc. C’est pour ça que j’ai commencé à avoir d’autres activités en parallèles à mon activité de prof de français. Des boulots en relation avec le tourisme par exemple. En étant seulement prof de français, sans diplôme, tu atteins vite un plafond. Quand je faisais 50h par semaine, je ne gagnais pas forcément plus que maintenant où je fais moins d’heures, car c’était des heures moins bien payées. Et une fois que tu arrives à 50h tu ne peux pas en faire plus ! Tu n’es jamais chez toi, tu te ruines la santé.
Avec l’inflation, le coût de la vie a augmenté au Japon. Mais le salaire horaire des profs de français lui, n’a pas changé. La seule solution pour gagner plus, c’est soit de négocier (avec l’ancienneté c’est parfois possible si une école veut vraiment nous garder), soit de trouver des postes ailleurs qui seront mieux payés.
Découvrir le travail d’Ojisam !
Merci à Sam de nous avoir accordé du temps ! Vous pouvez le retrouver sur sa chaîne YouTube, Ojisam, sur laquelle il propose divers contenus intéressants. Voici d’ailleurs une vidéo récente qu’il a tourné à Kamakura :
Donner des cours de français ne vous tente pas plus que ça, mais vous rêvez d’un travail en rapport avec le Japon ? Jetez un oeil à notre article sur les idées de métiers en rapport avec le Japon !