Aujourd’hui nous avons la chance d’avoir un invité spécial sur le blog !
Thomas Bertrand, entrepreneur passionné résidant à Kyōto depuis 2003, a accepté de partager avec nous son parcours. À travers son témoignage, de ses débuts en tant qu’étudiant, à la genèse de sa première entreprise Bento&Co, puis à la seconde : Ship&Co.
À quels défis à t il été confronté et quelles leçons à t il apprises au fil de ses 15 années d’entrepreneuriat au Japon ? Thomas répond aux questions que vous m’avez posées sur les réseaux : comment créer une entreprise au Japon ? Quelles sont les démarches administratives à accomplir ? Est-il possible de se lancer seul dans l’aventure en tant qu’étranger ?
Voici ses réponses à vos questions :
Premières expériences au Japon : avant la création de l’entreprise
Mon aventure japonaise a débuté avec un premier voyage en septembre 2002. Une expérience qui m’a propulsé bien au-delà de mes frontières habituelles, pour mon tout premier vol, me dirigeant vers un pays qui, jusqu’alors, m’était principalement connu à travers les rares documentaires télévisuels des années 90 et les pages des magazines spécialisés comme Consoles+ ou Animeland. Ce périple, englobant Tōkyō, Kyōto, et Hiroshima, suivait le circuit classique des groupes touristiques de l’époque.
C’était comme entrer dans une réalité que j’avais jusque-là uniquement imaginée, une première immersion dans un pays fascinant qui n’était pas encore aussi apprécié qu’il peut l’être aujourd’hui. Ce voyage m’a marqué et défini le cours du reste de ma vie. Et comme d’autres de ma génération, merci le Club D’ho, Nintendo, Sega et Akira Toriyama.
En 2003, mon immersion dans la culture japonaise s’intensifie alors que je deviens étudiant en échange à l’Université de Kyōto. L’année suivante, grâce à un visa vacances-travail, je multiplie les expériences : de petits boulots de serveur, à un poste dans une station de ski de Fukushima, où trouver des chaussures à ma taille devient un exploit mémorable (il n’y en avait pas, je suis rentré à Kyōto quelques jours après…).
Cette période est déterminante. Ces expériences m’ont permis de forger des liens précieux et de confirmer ma passion pour le Japon.
Un blog pour partager ma passion
Dès 2005, j’ai commencé à tenir un blog sur Kyōto, « La Rivière aux Canards » (car c’est le nom de la rivière principale qui traverse Kyôto, la Kamogawa 鴨川). Partager mes expériences, mes découvertes et ma passion pour la ville à mes amis et ma famille a non seulement développé mon intérêt pour le travail sur le web, mais a aussi été l’occasion de rencontrer des lecteurs fascinés par Kyōto. À l’époque, étant le seul blogueur francophone spécialisé sur le sujet, j’ai eu la chance de créer une communauté unique autour de mon contenu. Ce réseau fut déterminant pour lancer mon entreprise ici, mais ça, je ne l’ai compris que plus tard. Ce qui était un passe-temps est devenu une passion qui m’occupait plusieurs heures par jour.
De blogueur passionné à entrepreneur au Japon
C’est dans ce contexte que Bento&co a vu le jour. Ma transition de blogueur passionné à entrepreneur au Japon s’est faite un peu par hasard et aussi par nécessité. Je voulais rester au Japon, si possible vivre à Kyōto mais je ne trouvais pas de travail. J’avais envie de travailler pour moi-même avant tout et j’étais inspiré de faire comme d’autres, encore rares à l’époque, et de vendre en ligne.
J’avais 2 ou 3 activités en freelance à l’époque, qui me permettaient de vivre: écrire sur des blogs qui parlaient des technologies mais aussi travailler pour l’agence Vivre le Japon (désormais Japan Experience) avec notamment l’accueil de touristes Français dans des maisons de locations à Kyōto.
C’est un peu par hasard que l’idée de vendre des boîtes à bentō me vient à l’esprit. Je décide très rapidement de me lancer à fond dans le projet d’en vendre en ligne. Il existait alors quelques blogs, rares mais très populaires, qui parlaient de bentō en France et aux USA, et il était difficile d’en trouver d’authentiques, comme au Japon. Déjà installé dans l’archipel et tout jeune marié (ce qui m’a exempté de penser au visa), j’ai donc lancé Bento&co en octobre 2008 après avoir créé une boutique simple mais efficace, avec l’aide d’amis, rencontrés grâce à mon blog !
J’arrive à passer commande chez deux fabricants pour un premier stock de 500€ environ. Ils ne comprenaient pas trop pourquoi je voulais vendre des boîtes à bento hors du Japon mais ont gentiment accepté mes commandes, avec paiement en cash à la livraison. J’avais donc du stock, entreposé sur le canapé, pour lancer le site. La table du salon servirait à faire les colis.
Toute cette préparation, toutes les étapes de mise en place avant le lancement de la boutique en ligne, je les décrivais sur mon blog. Je savais que ceux qui me suivaient seraient mes premiers clients.
J’ouvre la boutique en ligne un dimanche soir vers minuit, le 23 novembre 2008. Au réveil, déjà 5 commandes, je ne pouvais pas imaginer mieux.
Avant d’en dire plus sur l’entreprenariat au Japon, je tenais à décrire toutes ces étapes car sans cette histoire, Bento&co n’aurait pas été la même boutique à son lancement. Ma petite expérience au Japon, les rencontres faites ici, grâce à mon blog, tout a été déterminant et, sans que je m’en rende compte, ces étapes étaient nécessaires pour me lancer.
Créer une entreprise au Japon, entre passion et nécessité !
Bento&Co : créer une auto-entreprise au Japon
Au tout début, Bento&co était une entreprise individuelle ou « kojin jigyō-sha » (個人事業). Ce choix initial offrait une souplesse pour démarrer et les avantages fiscaux d’une petite structure. Je n’avais pas besoin d’établir une société par action au début de ce projet. Je ne savais pas encore où Bento&co allait me mener, n’avais pas vraiment de business plan. J’avais juste la conviction que ça allait marcher !
Le seul problème, ce n’était pas “comment créer une entreprise au Japon”, mais comment trouver des clients et envoyer mes colis au plus grand nombre possible. Pour les formalités, il n’y en avait pas vraiment. Je suis allé au bureau des impôts de mon quartier, une gentille personne m’a demandé mon adresse et ce que je comptais vendre. Et voilà, rien de plus.
Le seul gros problème au départ, qu’on soit au Japon ou ailleurs, c’est en fait d’avoir des produits à vendre et des clients pour les acheter. Compter sur soi-même avant tout et tout mettre en œuvre pour réaliser mon idée de départ avec les moyens disponibles, sans penser aux aides possibles : voilà mon état d’esprit à cet automne 2008.
Cependant, après quelques mois d’activité, nous avons engagé un expert-comptable, car la gestion des factures et le paiement d’un premier salaire pour un employé étaient devenus compliqués. Puis en février 2010, sur les conseils de cet expert-comptable, la société a été transformée en “Kabushiki Gaisha” (Société par Actions, 株式会社).
Ce n’était pas une obligation pour travailler avec nos fournisseurs, mais cela nous a été fortement conseillé, notamment pour des questions de fiscalité : à partir d’un certain montant de chiffre d’affaires, avoir une S.A devient nécessaire. L’apport financier peut-être minime, mais il est souvent bien vu, si l’on commence à se fournir auprès d’entreprises moyennes et grosses, d’afficher un capital de 10 millions de yen. Mais là aussi, ce n’est pas quelque chose qui doit bloquer pour débuter son activité.
De Bento&co à Ship&co, ou quand une idée en amène une autre
Cela fait donc 15 ans que j’ai débuté Bento&co. Outre la vente en ligne, nous nous sommes diversifiés : vente aux particuliers, mais aussi aux professionnels (boutiques, restaurants, hôtels), boutique physique à Kyōto depuis avril 2012 (où l’on espère vous voir nombreux lors de vos voyages!).
La diversification permet de moins subir tout ce qui peut affecter l’activité : le taux de change du yen, la pandémie, les tremblements de terre, le volcan en Islande empêchant les avions de voler etc.. Mieux vaut se préparer, avoir le cœur solide et voir les difficultés comme des défis, des problèmes à résoudre, et même mieux, comme de nouvelles opportunités pour lancer une autre activité lucrative.
C’est ainsi qu’en 2017, fort des relations nouées grâce à Bento&co avec notamment des transporteurs, j’ai créé une nouvelle entreprise au Japon Ship&co.
Ship&co se distingue par rapport à Bento&co en proposant non pas des produits physiques, mais un service (SaaS), principalement à des entreprises basées au Japon, des petites structures aux très gros groupes. La collaboration avec de grandes entreprises locales comme Yamato Transport a été particulièrement excitante pour moi. Ship&co est né de la volonté de résoudre un problème logistique rencontré par Bento&co, transformant un défi interne en une opportunité d’affaires. En fournissant des solutions logistiques aux vendeurs en ligne et à des entrepôts, Ship&co illustre une autre envie d’entrepreneuriat.
Avec Bento&co, j’ai appris à vendre en ligne, utiliser Shopify, travailler avec des fournisseurs japonais et étrangers, monter une boutique à Kyōto, préparer des commandes, envoyer des colis dans le monde entier, répondre au téléphone en japonais, savoir que les problèmes sont inévitables et qu’il vaut mieux passer du temps à les résoudre qu’à se plaindre.
Avec Ship&co, j’ai appris combien il était compliqué de vendre un service à des entreprises, de lever des fonds auprès de Venture Capital japonais, mais aussi de me voir refuser des demandes d’investissements auprès de 50 autres.
Je viens de le dire, cela fait maintenant 15 ans que je me suis lancé dans l’entreprenariat ici et c’est une aventure qui dure : un de mes grands plaisirs est de pouvoir découvrir des côtés du Japon grâce à mes activités auxquelles je n’aurais sinon pas accès.
Entrepreneur au Japon : Thomas Bertrand répond à vos questions
Vous avez été nombreux à nous poser vos questions sur Instagram ! Nous avons essayé d’en regrouper un maximum pour les poser à Thomas qui a encore une fois accepté de se prêter au jeu ! Merci à tous ceux qui ont participé.
Quels sont les avantages et inconvénients de créer son entreprise au Japon ?
Pour certains types d’entreprises, il peut être très simple de débuter, comme je l’ai fait avec Bento&co.
L’inconvénient auquel je pense, c’est avant tout le système bancaire qui n’est pas des plus modernes pour gérer ses comptes, surtout si on souhaite faire des paiements / recevoir des paiements à l’international.
Niveau de japonais conseillé avant d’ouvrir son entreprise au Japon :
Tout dépend de votre activité et de vos besoins par rapport à vos fournisseurs et clients. Je connais des Français qui parlent très peu japonais, mais travaillent en couple ou avec des personnes qui “pallient” à ce manque.
Quel est le réseau social le plus populaire ?
Est-ce utile de communiquer sur les Réseaux Sociaux comme en France ? Twitter (X) reste assez populaire au Japon.
Instagram est très utilisé par les marques pour communiquer, tout comme Youtube où désormais, les publicités sont du même calibre que celles de la télévision. Selon votre cible, le type de réseau à utiliser pour communiquer sera différent. Pour une boutique au Japon, on peut envisager de faire de la publicité sur LINE, mais aussi Yahoo (en plus de Google) pour les locaux.
Ajout de Sophie : comme vous l’avez lu, Thomas à aussi commencé par la création d’un blog qui lui a permis de se construire une audience pour ses projets suivants.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile ?
Des milliers de choses, mais je ne crois pas que cela repose sur des problèmes propres au Japon. Il n’y a pas de pays parfait, mais le Japon reste, je pense, un pays très favorable pour nombre d’opportunités à saisir, surtout pour un étranger qui apportera une expérience différente.
Faut-il obligatoirement avoir un ou des employé·e·s Japonais·es ou peut-on travailler solo en tant qu’étranger ?
Non, on peut débuter seul. Si on a un statut de résident qui permet de vivre au Japon et qu’on paye ses impôts, vous pouvez commencer à vendre (presque tout) ce que vous voulez.
Il est vrai que créer son entreprise au Japon peut sembler intimidant de prime abord. La barrière de la langue, les différences culturelles, et le système juridique complexe peuvent décourager plus d’un entrepreneur étranger. Mais ne vous y trompez pas, ces obstacles sont loin d’être insurmontables.
😉 😉 😉 😉 😉
Grâce à Thomas, vous y voyez sûrement plus clair à présent et, si travailler au Japon en tant qu’entrepreneur vous tente, vous voilà munit de nouveaux conseils pour lancer votre propre activité sur place !
Merci encore à Thomas Bertrand pour ses réponses à nos questions !
Si vous êtes de passage à Kyōto, n’hésitez pas à aller le voir lui ou ses équipes dans leur jolie boutique située au 117 Yaoyacho, Nakagyo-ku, Kyoto, Japan 604-8072
Vous pouvez également découvrir leurs produits sur leur site internet !