Dans un précédent article je vous avais présenté les 3 différents systèmes d’écriture en japonais : les hiragana, katana et kanji. Dans cet article je vous parlais notamment du fait que les hiragana venaient des kanji et étaient considérés comme une écriture pour femme.
Je souhaitais revenir sur ce point et vous raconter plus en détail l’histoire de la création des hiragana.
Les man’yôgana, ancêtres des kana
Lorsque les Japonais importèrent les kanji issus du chinois, ils les utilisèrent initialement en tant qu’idéogrammes. C’est-à-dire exactement comme les Chinois eux-mêmes les utilisaient : un caractère représentant un mot ou un concept.
Par exemple, le Nihon Shoki, datant de 720 et considéré comme le plus vieux texte racontant l’Histoire du Japon, a été écrit entièrement en kanji, comme l’aurait été un texte chinois.
Cependant ce système présentait un certain nombre de problèmes. En effet, là où la langue japonaise repose sur une grammaire complexe, le chinois présente une grammaire très simple ne permettant pas de rendre les subtilités nécessaires aux japonais. De plus l’ordre des mots en japonais et chinois est complètement différent.
Afin de contourner ce souci, les lettrés japonais développèrent un système d’annotation des textes chinois nommé kanbun (漢文), permettant notamment de réarranger l’ordre des mots, ajouter des marqueurs grammaticaux, ou simplement sous-titrer des kanji peu communs.
En parallèle, les Japonais optèrent pour une seconde solution : utiliser les kanji non pas en tant qu’idéogrammes, mais uniquement pour leurs prononciations. Ainsi naquirent les man’yôgana (万葉仮名).
Nous ne savons pas en détail de quand date réellement la création de ce système, mais il était déjà en usage dès le milieu du 7ème siècle. Son nom vient d’un recueil de poésie nommé Man’yōshū datant de l’époque Nara et écrit entièrement en utilisant ce système d’écriture.
A l’époque, la langue japonaise comportait plus de sons qu’actuellement. On retrouve ainsi plus de syllabes dans le Man’yôgana que dans les actuels tableaux de Kana.
Là où cette histoire devient compliquée, c’est qu’à cette époque il n’existait aucune liste officielle indiquant que tel son doit être représenté par tel kanji uniquement. Par exemple pour retranscrire le son « ko », qu’on écrit de nos jours avec le hiragana こ, le kanji 己 était le plus fréquemment utilisé. Mais ce n’était pas le seul. D’autres kanji se lisant également « ko », tels que 故, 古 ou 高, pouvaient également être choisis !
Des man’yôgana aux hiragana : pourquoi dit-on que les hiragana sont une écriture de femme ?
A l’époque Heian, les femmes de la noblesse n’avaient pas le droit à l’éducation supérieure nécessaire pour lire et écrire directement en chinois. En revanche elles maîtrisaient le système bien plus simple des man’yôgana, qu’elles utilisaient notamment dans leurs poésies.
A cette époque, un style de calligraphie devient populaire auprès des femmes de la noblesse : le style « herbe » Sôsho (草書), une écriture cursive très stylisée et simplifiée des kanji. Réputé presque illisible pour les non-initiés, la bonne maitrise de ce style devient une marque de raffinement et de culture pour toute dame de la noblesse japonaise.
En revanche, il est relativement mal vu pour un homme de l’utiliser, au point que ce style sera qualifié de Onnade (女手), littéralement « main de femme », en opposition au Otokode (男手), « main d’homme ».
Et c’est l’utilisation par les femmes de la cour de cette combinaison du système man’yôgana avec le style de calligraphie « herbe » qui va doucement donner naissance aux hiragana.
Le tableau ci-dessous donne un exemple de cette évolution, en reprenant le man’yôgana (donc le kanji) d’origine, son écriture en style « herbe » en rouge, et enfin le hiragana actuel qui en résulte au final.
La triste histoire des hentaigana
Malgré leur nom, je vous rassure : rien de pervers ici 😉 Il est juste question de variantes de hiragana qui n’ont pas (ou presque pas) survécu au passage du temps.
Comme nous l’avons vu précédemment, initialement le système man’yôgana permettait l’utilisation de plusieurs kanji pour retranscrire un même son. Avec la stylisation de ces kanji en calligraphie « herbe » naquirent plusieurs kana différents pour retranscrire un même son.
A l’époque Meiji, en 1900, le gouvernement japonais prit la décision de standardiser les kana et donc de ne garder qu’un seul hiragana par son, éliminant ainsi toutes les autres variantes qui furent labélisées hentaigana « kana variants » (変体仮名).
Voici un petit tableau présentant certains de ces hentaigana tombés dans l’oubli :
Le dernier changement majeur des hiragana en 1946
En 1946, une réforme de l’écriture nommée « Usage moderne des kana » (現代かなづかい) fut lancée et modifia à nouveau le tableau des hiragana pour refléter la langue japonaise telle qu’elle était au milieu du 20ème siècle.
Ces changements principaux étaient les suivants, nous permettant d’aboutir petit à petit au tableau que nous connaissons actuellement :
- Les kana wi ゐ et we ゑ furent déclarés obsolètes car les sons qu’ils représentaient n’était plus utilisés depuis des décennies
- L’utilisation standard des hiragana じ pour le son ji et ず pour le son zu fut officialisée, bien que leurs alternatives ぢet づ restent existantes pour quelques cas très particuliers.
J’espère que cet article vous en aura appris plus sur l’histoire de la création des hiragana 😉
Est-ce que vous aimeriez que les hiragana aient une forme différente ? Dites-moi tout en commentaire !
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3 commentaires
exia
Vive les variants!
Hana
J’adore l’image des « Sosho » que vous avez introduite.
Simples et minimaux, les caractères sont tout en courbes et leurs proportions semblent parfaites.
Au fait, les hommes pouvaient aussi utiliser les hiragana pour écrire des lettres d’amour… Romantique, n’est-ce pas ?
Charles GAGNON
Même mon épouse japonaise adore vos articles