Le peuple Aïnou, originaire de la partie septentrionale de l’archipel japonais, en particulier de l’île désormais nommée Hokkaido, possède sa propre langue ainsi qu’une culture riche et diversifiée comprenant une littérature orale, des rituels religieux et différents artisanats.
Pourtant, cette ethnie est très peu connue du grand public, même du peuple japonais lui-même. La raison ? La société et la culture aïnou ont été gravement affectées par la colonisation progressive de leurs territoires. Aujourd’hui encore, bien que considérés officiellement comme faisant partie de la Nation japonaise, les Aïnous subissent toujours de la discrimination dans de nombreux domaines.
Qui sont les ancêtres des Japonais ?
Les origines du peuple Aïnou
La culture aïnou serait progressivement apparue au XIIe, XIIIe siècle sur Ezo (ancien nom d’Hokkaido) et aux alentours. Elle serait issue du mélange de deux cultures : la culture Okhotsk (peuple de marins) et de la culture Satsumon (peuple sédentaire et cultivateur).
La culture Okhotsk viendrait principalement des régions situées le long de la mer d’Okhotsk, à Hokkaido. Ce peuple conservait alors des crânes d’ours dans leurs habitations et les chercheurs pensent que les ours auraient joué un rôle important dans leur religion. On a retrouvé le même type de pratique chez les Aïnous. On estime donc que la culture Okhotsk a exercé une influence significative sur la culture aïnou en termes de spiritualité.
Bien qu’on pense la culture aïnou établie aux alentours du XIIIe siècle, les premiers documents historiques mentionnant leur existence datent du XVe siècle environ. À cette époque les Aïnous faisaient alors régulièrement du commerce avec leurs voisins, notamment avec ceux qu’ils appelaient les Wajin (peuple de Honshu) ou avec la Chine.
La colonisation d’Hokkaido
Les relations commerciales entre Wajin et Aïnous évoluent au fil des siècles et petit à petit, de plus en plus de Wajin s’installent sur l’île d’Ezo et y étendent leur influence. Diverses querelles politiques et économiques, rythment alors les relations entre les deux peuples. En résultera une colonisation progressive du territoire aïnou par les seigneurs féodaux wajin.
En 1799, le shogunat de Tokugawa s’empare de la moitié sud d’Ezo et en 1807, il étend ce contrôle à sa moitié nord. À cette époque, les Aïnous ne sont déjà plus considérés comme des partenaires commerciaux, mais de plus en plus comme une main-d’œuvre inférieure et exploitée. On confie aux Aïnous les travaux pénibles et on les prive de leurs terres.
Cependant, afin d’éviter toute alliance entre les Aïnous et la Russie (qui lorgne sur Ezo), Tokugawa tente d’apaiser les Aïnous en leur offrant sa protection et en assouplissant les règles de commerce mises en place. Le shogunat lève également diverses interdictions qui leur avaient été imposées.
Malgré ce radoucissement de façade, les Wajin forcent le peuple Aïnou à abandonner ses costumes et ses traditions, bijoux et même tatouages traditionnels.
D’Ezo à Hokkaido, la disparition du peuple Aïnou
C’est en 1869 que l’île d’Ezo est rebaptisée Hokkaido par le gouvernement japonais, symbolisant son incorporation définitive au sein d’un “Japon” uniforme. Les Aïnous sont alors listés en tant qu’“anciens aborigènes” et fortement discriminés.
La même année, le “Kaitakushi” ou “Bureau chargé du développement et de la colonisation d’Ezo”, créé pour gouverner l’île du nord, interdit la langue et le mode de vie aïnou et promeut au maximum le mode de vie japonais. Sous sa direction, les ressources naturelles du territoire seront envoyées à Honshu, la pêche et la chasse seront interdites, les familles aïnou recevront des terres incultivables ou bien plus petites que celles réservées aux Wajin, etc. Ces nombreux changements seront la cause de maladies et de famines qui entraineront la mort de très nombreux Aïnous.
La modernisation d’Hokkaido (construction de routes, etc.) se fera d’ailleurs aux dépens des Aïnous aussi bien que des prisonniers japonais envoyés dans des camps de travail aux conditions épouvantables (comme celui d’Abashiri).
Il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que les Aïnous puissent établir la “Hokkaido Ainu Association”. Depuis, différentes mesures ont été progressivement adoptées pour protéger ce qui pouvait rester de la culture Aïnou.
Même plus récemment, en 1986, le Premier ministre japonais Yasuhiro Nakasone déclarait : “le Japon est une nation racialement homogène, il n’y a pas de discrimination à l’encontre des minorités ethniques de nationalités japonaises”.
Malgré de nombreuses difficultés et grâce aux échanges internationaux, les Aïnous ont pu observer différentes initiatives prises par les peuples autochtones opprimés de par le monde et continuer leur travail pour faire reconnaitre leur culture et leur histoire.
En 1994, le premier (et le seul à ma connaissance) descendant d’Ainu était admis au sein de la Diète (assemblée nationale japonaise).
La culture Aïnou, qu’en reste-t-il ?
Selon les recherches de la “Hokkaido Ainu association” environ 15.000 Aïnous vivraient actuellement à Hokkaido. Un chiffre difficile à évaluer tant les sources à ce propos sont rares. De plus, les Aïnous ont souvent honte de leurs origines qu’ils dissimulent.
Où sont les Aïnous ?
“Ainu” signifie “êtres humains” et “mosir” signifie “terre” ou “îles”. Ainumosir était donc le nom que donnait le peuple aïnou à leurs terres. Leurs villages étaient quant à eux nommés “kotan”.
Il existe un village Ainu “traditionnel” dans l’est d’Hokkaido, sur les rives du magnifique lac Akan. Cependant celui-ci est avant tout une mise en scène pittoresque destinée au touriste. On y trouve un alignement de boutiques proposant des vêtements, des sculptures sur bois et autres objets de la culture Aïnou.
Danses, chants et littérature
Dans ce village artificiel, nommé Akanko Ainu Kotan, il est possible d’ assister à un spectacle pour découvrir les danses traditionnelles aïnous : danse des cheveux noirs (Futtarechui), danse de l’arc (Ku rimuse), danse du renard (Chironnupu rimuse)… Les Aïnous célébraient la nature et les évènements de la vie avec de nombreuses danses. Celles-ci étaient pratiquées pour exprimer la gratitude des Aïnous envers les dieux (nommés kamuy).
S’ils n’avaient pas de langue écrite, on sait que la littérature orale aïnou se divisait en trois types de récits : les récits héroïques (Sakorope), les récits mythologiques (Oyna) et les contes (Tuytak).
Ces récits étaient d’ailleurs souvent narrés en rythme, avec certaines phrases récurrentes récitées comme un refrain.
La musique tient elle aussi une place très importante dans la culture Aïnou. Divers instruments sont employés tels que le Mukkuri, une petite “harpe de bouche”. Les chants traditionnels sont nommés “Upopo” et il en existe une très grande variété selon les régions d’Hokkaido.
Les vêtements Aïnous
Les Aïnous fabriquaient leurs vêtements avec des peaux d’animaux, de poissons et d’oiseaux ou avec de l’écorce d’arbres. Ceux-ci étaient ensuite brodés de motifs complexes qui servaient de talisman contre les maladies ou les mauvais esprits.
Ces tenues étaient portées avec une ceinture tissée de forme similaire à celle de l’Obi japonais. En hiver une veste aux manches courtes en fourrure de cerf ou d’un autre animal pouvait être ajoutée à l’ensemble. De nombreux ornements étaient également portés par les femmes comme par les hommes : couronnes, épées décoratives, bracelets, etc.
Les motifs des tissus Ainu semblent similaires à ceux retrouvés chez les peuples vivant sur les îles Sakhalin, indiquant les très probables échanges de ces différentes communautés.
Les tatouages du peuple Aïnou
Le tatouage rituel était une pratique visiblement très importante dans la culture Aïnou et qui concernait particulièrement les femmes. Ceux-ci se faisaient sur le visage, mais également sur les mains et les avant-bras. Ils permettaient entre autres de spécifier la maturité sexuelle, le statut social, l’appartenance à un clan, etc. Si cette pratique a été violemment réprimée par les Japonais, elle a réussi à perdurer jusqu’à nos jours. Vous pourriez donc croiser certaines femmes d’Hokkaido avec le dessus de la lèvre tatouée en un sourire bleu énigmatique.
Vous l’aurez compris, les sources concernant les Aïnous sont rares, et ce pour de nombreuses raisons. Premièrement l’absence de traces écrites laissées par le peuple aïnou lui-même, mais aussi en raison de la brutalité avec laquelle le Japon a tenté pendant des centaines d’années d’en effacer toute trace.
Si l’histoire du peuple Ryukyu (archipels d’Okinawa) est plutôt connue et peut déclencher parfois des débats houleux, l’acceptation de l’Histoire Aïnou est très récente et de nombreux Japonais vont même jusqu’à ignorer leur existence ! (J’ai constaté ce fait moi-même en parlant de ma rencontre avec les Aïnous à un ami tokyoïte qui n’en avait jamais entendu parler).
Récemment, l’annonce des Jeux Olympiques de 2020 a lancé la construction d’un musée des Aïnous moderne. Cependant ici encore, le peuple Aïnou est plutôt dépeint comme une peuplade primitive (à la manière des Amérindiens) que comme une culture équivalente à celle des Wajin.
Il existe également un manga nommé “Golden Kamui” et dessiné par Satoru Nada qui a récemment mis un coup de projecteur sur les Aïnous en 2022.
Est-ce que cela vous intéresserait d’en savoir plus sur la langue Aïnou ? Si oui, faites-le-moi savoir en commentaire et je serais ravie de vous écrire un article détaillé sur le sujet (avec quelques mots courants, les différences avec le japonais, etc.)
8 commentaires
Jean-Marie Bassinet
Bonjour et merci pour cet article très intéressant. je découvre que ce peuple n’est pas connu de certains japonais, pourtant si ancrés dans leurs traditions!
Je suis preneur de la suite, si suite il y a.
Bien cordialment,
Sophie MARETTE
J’ai pu visiter Hokkaido deux fois et j’y ai découvert la culture Ainu, le lac Akan et ses environs, la ville avec les magasins et musées ainus. Ce fut si émouvant. J’ai aussi assisté à une conférence avec des Ainus venus exprès d’Hokkaido à la Japan Foundation de Londres. Des moments fabuleux, je veux y retourner. La nature d’Hokkaido est magnifique. Je conseille cette région hors des sentiers battus.
Oui, cela m’intéresse d’en savoir plus sur la langue Ainu.
Tia
Bonjour,
Merci pour cet excellent article !
Il est très complet et m’a permis d’apprendre beaucoup de choses.
Je serai curieuse d’un second article sur les différences de langue en effet 🙂
Merci pour votre travail !
Chanty Hache
Bonjour Isabelle,je suis canadienne francaise du Québec,je vit 3 mois par année au Japon à ichikawa.je suis abonné des nouvelles de Sophie que je lis passionnément.d ailleurs mon copain est japonais,la raison de mes séjours ici. Et il apprend beaucoup lui aussi de vos articles.J aimerais attirer votre attention sur un détail intéressant, nous avons des autochtones au Canada et la ressemblance est frappante! Leurs traditions sont vraiment similaires,aucun écrit,leur histoire est transmise de vive voix et par des chants,leur dieux sont aussi inspiré de la nature et les animaux, leur vêtements conçu de la même façon,leur décoration et bijoux aussi .Et malheureusement eux aussi les colonisateur ont tenté de les effacer et de la même façon que les Aïnous….ce qui me fait penser que il est possible que ils sont de même souche….serait il possible que certains est pu se retrouver au Canada et être les descendants de nos autochtones du Canada? Bref un plaisir vous lire ,j aimerais bien vous rencontrer si vous passez au café Mickey mouse de Tokyo .au plaisir de vous lire bonne continuité .
Et oui Hokkaido est sur ma liste de visite
Veuillez me contacter par mail si questions
Isabelle VANSTEENKISTE
Bonjour Chanty, je serais ravie d’aller prendre un café à l’occasion pour discuter des peuples du Canada et d’Hokkaido. En effet, j’avais déjà fait un lien et je serai ravie d’en discuter plus en détail.
Merci aussi de suivre fidèlement la newsletter, c’est toujours un boost de motivation.
Stéphanie
Bonjour,
Merci pour cet article qui permet d’en apprendre davantage sur ce peuple. Y en a-t-il beaucoup d’autres ? J’aimerais aussi beaucoup en savoir plus sur la langue aÏnou. Est-elle très différente du japonais ? Est-elle seulement orale ?
Isabelle VANSTEENKISTE
Bonjour Stéphanie,
Oui la langue aïnou est très différente de la langue japonaise, d’ailleurs en japonais, les mots aïnous qui ont survécus s’écrivent en katakana. C’est ce que l’on fait pour les langues étrangères comme l’anglais.
Vu l’enthousiasme général sur le sujet, je vais donc prévoir un article sur cette langue, pas de soucis ! 😄
Pour les différents peuples, les plus connus sont les peuples d’Okinawa (aussi nommé royaume de Ryûkyû), et ceux d’Hokkaido, mais il existe d’autres minorités, comme la minorité, plutôt sociale cette fois, des Burakumin.
hoffert-maillet nathy
superbe article sur le peuple Ainou et j’aimerais beaucoup en apprendre plus sur lui
(plats traditionnels – language tatouage et les arts et la musique
encore felicitation pour vos articles toujours très interessants j’adore