ikebana japon

L’Ikebana : L’Art de faire vivre les fleurs

L’ikebana (生け花、いけばな) est un art japonais où l’on compose avec les fleurs. Il porte aussi le poétique nom de kadô (花道、かどう), “la voie des fleurs”. Pour un non-initié, on peut croire que cela se fait facilement, qu’il suffit de ramasser des fleurs, d’en faire un bouquet et de les mettre dans un vase. Et puis voilà, ça fait joli ! En réalité, c’est bien plus complexe que ça. En effet, d’apparence déjà assez élaborée, l’arrangement floral est quelque chose de philosophique et spirituel. Il est l’une des nombreuses preuves d’amour des Japonais envers la nature : le hanami et le momijigari sont également de merveilleuses démonstrations de cette adoration. Préparez-vous à entrer dans le monde coloré et varié des compositions florales. Promis, il y en aura pour tous les goûts !

D’où vient l’ikebana ?

Des origines bouddhiques

Autel bouddhique

Ikebana est composé de deux termes :

  • ike (生け、いけ) : veut dire arranger, disposer, vivant ;
  • bana (花、ばな) : signifie fleur.

C’est un art qui vient de Chine, introduit au 6e siècle par la religion bouddhiste grâce à Ono No Imoko, l’émissaire de l’impératrice Suiko (554-628). En effet, il était coutume d’offrir des fleurs à Bouddha. Les bouquets étaient placés verticalement dans des vases et disposés sur les autels devant les statues bouddhiques, ils n’avaient donc qu’un contexte sacré à l’époque. Ono No Imoko devint un moine bouddhiste par la suite, et s’installa près de Kyôto, dans le temple Rokkaku-dô. C’est à partir de cet endroit que naîtra le kadô.

La naissance de l’ikebana en tant qu’art

L’arrangement floral se détacha doucement de son contexte purement religieux pour devenir une discipline profane permettant d’exprimer sa créativité en mettant en scène la beauté de la nature.
On retrouve des textes contenant des instructions relatifs à l’ikebana en tant qu’art dès le 15ème siècle. Le plus ancien connu étant le sendensho qui explique notamment l’importance d’adapter sa composition en fonction de la saison.
Le premier maitre de l’ikebana est Ikenobô Senkei qui fixa les règles du kadô et créa le style de composition Rikka dont nous reparlerons plus bas.

L’ikebana gagna en popularité sous le règne du shogun Ashikaga Yoshimasa (1436-1490), connu des touristes grâce à son formidable pavillon d’argent, le Ginkaku-ji.

Ashikaga Yoshimasa
Ashikaga Yoshimasa

Féru d’art et inspiré par le dépouillement du bouddhisme zen, il développa la culture Higashiyama basée sur le concept du wabi-sabi : la beauté se trouve dans la simplicité. On retrouve cette philosophie dans les arrangements floraux de l’époque. Principalement utilisés lors des cérémonies du thé, les chabana (茶花、ちゃばな) ou “fleurs de thé” avaient un aspect plus sobre et peu élaboré comparé aux offrandes de fleurs faites à Bouddha.

À partir de la fin du 16e siècle, durant la période Muromachi (1336-1573), l’ikebana prend un nouvel essor. C’est en effet à cette époque qu’on commença à intégrer dans les maisons bourgeoises un petit espace surélevé nommé le tokonoma. Son unique but étant d’exposer des œuvres d’art reflétant la saison en cours, comme une composition florale, par exemple.

Tokonoma
Tokonoma

Le saviez-vous ? C’étaient souvent des hommes qui pratiquaient cette activité, bien qu’aujourd’hui, elle soit plutôt considérée comme féminine. Les généraux adoraient cela, il paraît que ça leur permettait de mieux se concentrer

Les principes du kadô

L’ikebana, un pont entre art, philosophie et nature

L’ikebana, ce n’est pas que mettre des végétaux dans un récipient. Il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte, et selon le style employé, les règles peuvent changer. Cette discipline cherche l’harmonie et la beauté dans la vie et la mort, la simplicité et l’extravagance, l’éternel et l’éphémère. Pour autant, l’équilibre recherché ne réside pas dans l’uniforme : de fait, l’asymétrie est reine dans cette pratique. D’ailleurs, ce concept est en réalité naturel, puisqu’il est très rare de trouver des plantes sauvages parfaitement alignées ou qui sont parfaitement symétriques.

L’arrangement floral japonais a donc un côté spirituel et philosophique, mettant en lien l’humain avec l’environnement naturel, tout en mettant à l’épreuve sa patience, sa concentration, sa créativité et son observation. Il y a aussi une notion de maîtrise de l’espace et du temps, qui n’est pas sans rappeler le peuple japonais qui évolue avec.

Quels matériaux utilise-t-on pour l’arrangement floral ?

Pour les matériaux, vous pouvez utiliser des végétaux séchés, artificiels et bien sûr, encore frais/vivants. Je parle bien de végétaux, car il n’y a pas que les fleurs qui sont utilisées dans le kadô. Vous pouvez alors utiliser des branches, des feuilles, des graines, des fruits, des légumes, de la mousse, etc.

Ce qui est intéressant dans l’ikebana, c’est le fait que la saison influence la composition. Bon, cette contrainte n’est plus d’actualité, je vous l’accorde. Avec l’import et la technologie, il est tout à fait possible de se procurer des spécimens frais, même si ce n’est pas la bonne période. Les matériaux secs sont en général plus utilisés en hiver. En effet, ils représentent le peu de couleurs, les végétaux qui se fanent, le froid… Le choix des matériaux est souvent symbolique, un peu comme nos langages des fleurs, en Occident.

Le contenant ou support a également une place toute particulière dans cet art, selon sa forme et sa taille, il doit idéalement mettre en valeur ce qu’il contient.

L’avantage avec le kadô, c’est qu’aucune composition ne se ressemble : grâce à la variété de plantes mises à notre disposition, il est très rare d’obtenir le même résultat que son voisin.

Les différentes écoles d’ikebana

Il y a de nombreuses écoles d’arrangement floral, mais les 3 plus connues sont :

  • ikenobô : c’est la pionnière de l’arrangement floral japonais tel qu’on le connaît maintenant. C’est la toute première qui fut créée et qui inspira les autres. Elle est au temple Rokkaku-dô, à Kyôto, et c’est ici que tout commença, où l’ikebana devint un art pour tous ;
  • ohara : Ohara Unshin (1861-1916) créa cette école durant l’ère Meiji (1868-1912), en 1895, suite à l’ouverture du Japon sur le monde occidental ;
  • sôgetsu : fondée par Sofu Teshigahara (1900–1979), cette école met en avant l’art comme étant accessible à tous. Son leitmotiv est d’ailleurs : « N’importe qui peut bénéficier de l’ikebana Sôgetsu, n’importe quand et avec n’importe quel matériau ». De fait, elle incite chacun à exprimer sa créativité tout en étant méticuleux dans la réalisation de son œuvre.

Les styles d’ikebana, une constante évolution

Il existe de nombreuses formes d’ikebana, nous allons donc juste voir les plus répandues. Sachez qu’elles ne sont pas figées dans le temps, et peuvent être amenées à évoluer !

Le style rikka

Style Rikka

Le rikka (立花、りっか) » fleurs debout », établi durant l’époque Muromachi, est un style très formel, souvent utilisé lors de rites ou d’offrandes. Il représente un paysage, avec l’utilisation de fleurs et d’herbes symbolisant l’eau, et les arbres, des montagnes. Cette forme d’arrangement floral est chargée de symbolisme et possède des règles assez précises. Elle doit notamment refléter la beauté de la nature. C’était d’abord une composition réservée aux nobles et au clergé, puis devint plus populaire au 17e siècle.

Elle reste assez imposante en taille, et ce sont les plus doués qui la réalisent. Un novice aurait alors plus de difficultés à reproduire ce style.

Le style shôka de l’école Ikenobô

Shôka

Le shôka (生花、しょうか) que l’on peut traduire par « fleurs vivantes » se concentre surtout sur la beauté intérieure de la fleur, et non pas sur l’harmonie qu’apporte l’arrangement. (Et oui, comme vous avez pu le remarquer, les deux kanji qui composent le terme sont les mêmes que pour l’ikebana.) On s’intéresse donc plus à la vie du végétal, sa caractéristique, le shusshô (出生、しゅっしょう) plutôt qu’à l’aspect global de l’œuvre. Il y a deux types de shôka :

  • shôka shôfutai : traditionnel, il apparut à la fin de l’ère d’Edo (1630-1868), vers le 18e siècle. Trois branches doivent faire partie de l’œuvre. Celles-ci doivent être de taille différente afin de symboliser le ciel, l’Homme et la terre.
  • shôka shinputai : contemporain, c’est le grand maître Ikebonô Sen’ei qui le créa en 1977, l’objectif étant de vivre avec son temps. On aime s’attarder sur l’aspect de la composition, en observant la couleur, la forme du branchage…

Le style moribana de l’école Ohara

Moribana

Ce fut Ohara Unshin qui créa le moribana (盛花、もりばな), lors de l’époque de Meiji dans les années 1890. Comme l’ouverture du Japon au monde marqua cette ère, on ressent vraiment une influence occidentale sur son travail, comme l’introduction de fleurs étrangères dans la composition. En plus, la forme moribana utilise des supports peu profonds. L’eau est un élément important. Selon la saison, on peut choisir d’en montrer plus vers l’avant que l’arrière. Les fleurs sont disposées comme si elles évoluaient dans leur milieu naturel.

Le style jiyûka

Jiyûka

Jiyûka (自由花、じゆうか) veut dire “fleurs libres”, c’est LA forme contemporaine de l’ikebana. Ce style apparut après la Seconde Guerre mondiale. On apprécie surtout le fait de pouvoir composer sans aucune règle. Seulement nous, face à notre créativité… ou notre panne d’inspiration. Si vous aimez le freestyle, c’est sûrement ce qui vous conviendra le mieux.

L’ikebana à l’international : un nouveau souffle

L’Américaine Ellen Gordon Allen (qui vécut au Japon et y étudia le kadô) rendit cette discipline internationalement célèbre. Cette dame fonda en 1956 l’association internationale d’ikebana visant à promouvoir cet art. Ce qui est super, c’est que cet engouement put rassembler de nombreux curieux (et continue de le faire), jusqu’à créer une véritable communauté ! Il n’est donc pas rare de pouvoir participer à des congrégations ou des événements en rapport avec cette activité un peu partout dans le monde.

Du coup, si vous souhaitez participer à des cours, cela ne devrait pas être trop compliqué à trouver. Surtout si vous habitez dans des grandes villes. Avec la mondialisation, le kadô est en constante évolution : n’oubliez pas que dans cette activité, la maîtrise de l’espace ET du temps est essentielle ! Il se peut alors que de nouvelles écoles et styles émergent dans les prochaines années à venir.

Vous en savez maintenant plus sur l’ikebana, qui est bien plus complexe qu’on ne le pense. Il est assurément une forme d’expression, de sensibilité à la nature. Et vous, seriez-vous intéressé de prendre des cours de kadô et de faire vos propres compositions ? N’hésitez pas à me raconter vos expériences en commentaires et à partager vos œuvres via les réseaux sociaux !

Article écrit par Leïla Casarin

Sophie - Cours de Japonais

Sophie, professeur de japonais depuis 2013, a créé sa formation OBJECTIF JAPON en 2020 et a accompagné depuis des milliers d’élèves dans leur apprentissage du japonais. Sur son site et sur les réseaux, elle partage les astuces qui lui ont permis d’apprendre elle-même le japonais.

Un commentaire

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    Laure Nollet

    C’est merveilleux cet art d’arranger les fleurs ! J’adore le mot ikebana aussi ! et kado pour le coup c’est facile à retenir 🙂 Je ne savais pas du tout que c’était à l’origine une offrande religieuse à Bouddha et je suis impressionnée par toutes les écoles différentes. C’est incroyable le raffinement des arts et artisanats japonais dans tous les domaines. Nous on fait juste des bouquets !

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