Les yokai dans l'univers de miyazaki, de bien étranges créatures

À la rencontre des yôkai dans les films de Miyazaki

Comme Alice, plongeons dans le terrier inconnu et mystérieux. Rencontrons les yôkai, ces créatures surnaturelles, mais cette fois-ci dans le monde de Miyazaki. Les a-t-il seulement repris du folklore japonais ? Réécrit ? Une balade dans son univers, cela vous tente ?

L’univers effrayant et fascinant des yôkai chez Miyazaki

Des créatures protéiformes :


Identifiables et liées au monde aquatique  

Vous ne pouvez pas les manquer. Clairement reconnaissables, ils appartiennent au milieu aquatique. Dans « le Voyage de Chihiro », la majorité des Ushi Oni passent pour des démons bœufs puissants et féroces. Ils se révèlent très effrayants avec : 

  • leur figure bovine ; 
  • leur peau rouge ou bleue ; 
  • leurs cornes ; 
  • leurs grandes dents ; 
  • les algues en guise de cheveux. 

De plus, ils partagent des traits de caractère très réjouissants : cruauté, sauvagerie et cannibalisme. En somme, une bête à fuir de toute urgence ! Sauf s’il prend un bain ? 

Il n’est pas le seul monstre amphibien à qui il vaut mieux ne pas conter fleurette ! Une mer calme, sans nuages. Vous pouvez tomber sur l’Umi-bôzu. Dans « Ponyo sur la falaise », ils sont les espions fidèles, mais peu dangereux de Fujimoto. De grande taille, noir, ce yôkai souffre d’une image très négative. Il est connu pour faire chavirer les navires et faire peur aux marins. Il ressemble à une énorme vague très arrondie et possède de gros yeux sans paupières. Son nom est formé de l’association des caractères japonais « mer » et « moine ». La légende raconte qu’il serait l’esprit d’un bonze jeté à l’eau par des villageois. Il reviendrait se venger de cette façon. 

Les familiers  

Sous la forme de familiers dans le folklore, ils accompagnent un ou une sorcière. Puissants et dangereux, ils prennent bon nombre de formes et possessions de corps d’objets, d’animaux, de démon, yokai, fantômes… Leur aspect le plus redoutable : ils n’ont pas de volonté propre. Ils agissent en esclaves au service d’un ou une magicienne. Leur emploi peut être varié. Dans « le Voyage de Chihiro », les Shikigami ressemblent à de petits oiseaux blancs de papier au service de Yubaba. Ils se sont révélés capables de nuire à Haku lorsqu’ils le poursuivaient en masse. 

Dans « Le château ambulant », les Kuro bôzu (« moines noirs ») surprennent par leur allure et apparition. Ils restent inoffensifs en porteurs de la sorcière des Landes. Mais ils représentent un danger imprévisible quand ils espionnent pour leur maîtresse. Ils se montrent habiles à se fondre dans les murs et bâtiments. Vaguement humain ? Ombre vivante ? Leur apparence demeure inconnue et indistincte à nos yeux. Leur particularité : tard dans la nuit, ils aspirent le souffle des personnes endormies et lèchent leur bouche.

les ombres


Des fils rouges dans l’univers de Miyazaki 

Certaines créatures nous suivent dans l’univers de Miyazaki tels des fils rouges. C’est le cas des noiraudes ou « Susuwatari ». Dans « Totoro », les fillettes découvrent avec stupeur et crainte ces boules de poils noires. Elles tiennent à la fois des esprits, des insectes et d’une illusion d’optique ! En effet, le père ne voit rien. Mais le personnage de la grand-mère prétend qu’elles ne peuvent être observées que par les enfants comme pour Chihiro. Elles habitent des endroits sombres : la maison vide pour Totoro, le sous-sol pour Chihiro. Elles quittent définitivement la demeure pour rejoindre le camphrier après la séquence du bain. On en apprend un peu sur elles dans « le Voyage de Chihiro ». Elles bavardent, se querellent, s’amusent et fuient le travail dès qu’elles en ont l’occasion ! Elles sont obligées de transporter du charbon dans la fournaise du vieux Kamadji. C’est ce dernier qui, grâce à ses pouvoirs, peut fabriquer des Susuwatari avec de la suie.

les noiraudes font la fête


C’est le cas également des vers ! Ils peuvent être reliés à la magie noire du folklore japonais, les Kodoku. Il peut s’agir aussi du yôkai Tsuchinoko. Serpent venimeux de 30 cm à 80 cm de long, il peut sauter jusqu’à 1 m de haut. Dans « Princesse Mononoke », le sanglier Nago attaque le village des Emishi. Ceci explique la transmission de ces bestioles entre Nago et Ashitaka. Néanmoins, Miyazaki n’a pas tiré parti de certaines caractéristiques de ce yôkai : son penchant pour l’alcool et sa tendance à raconter des mensonges ! Il s’avère peu développé et moins nuisible dans « Le château ambulant. » Mme Sullivan avait caché les vers dans un sac pour espionner Hauru. La sœur de Sophie le dépose rapidement dans la maison avant de s’en aller. Leurs pouvoirs sont étouffés dans l’œuf ! La sorcière des Landes, métamorphosée en une vieille grand-mère, ne perd pas le nord. Elle les lance dans le feu, dans Calcifer, pour les détruire.

Revisitées par Miyazaki 

Miyazaki s’amuse et réécrit certaines de ces créatures surnaturelles. Le premier à en faire les frais : l’épouvantail dans « Le château ambulant. » Surnommé « Navet » par Sophie, il est assimilé à un Tsukumogami. Au bout de 100 ans, les objets deviennent des yôkai, car ils reçoivent une âme. Les vieux vêtements, les ustensiles de cuisine, toute chose mécontente d’être délaissée peuvent se transformer. Pattes, mains, bouche et yeux leur poussent. Ils déambulent, sautent et dansent terrifiant ainsi leur propriétaire.

le prince navet


Le second peut paraître inoffensif à première vue. C’est un long morceau de tissu blanc, de 34 cm de large sur 10 m de long. On pense à un linge mis à sécher qui s’envolerait. Mais s’il s’enroule autour de votre cou, il vous assassine ! Miyazaki s’est inspiré de ce monstre, un Ittanmomen, pour le corps plat de son requin-baleine dans « Ponyo sur la falaise. »

Un déferlement de violence chez les Kami 


Le shintoïsme : source d’inspiration chez Miyazaki

Le shintoïsme apparaît comme une source d’inspiration majeure pour Miyazaki. Le shintoïsme, c’est quoi ? Religion très importante au Japon, elle ne comporte aucune notion de bien et de mal. C’est un mélange entre l’animisme (croyance où une divinité habite des objets, des éléments naturels telles les montagnes…) et le polythéisme. 

La malédiction ou tatari 

Dans le shintoïsme, les dieux ou Kami peuvent se montrer bienveillants. Néanmoins, ils portent en eux un esprit de violence, un arami-tama. Ce dernier peut se manifester à la suite d’une malédiction ou tatari. Elle est liée à une faute ou tsumi. Dans « Nausicaa », les yeux des Omu sont bleus, mais ils deviennent rouges sous l’effet du malheur, de la haine. Le péché : les mauvaises actions des hommes entre eux (notamment la guerre) et leurs attaques contre les insectes !

les omu maudits


La souillure ou tsumi

Cette faute ou tsumi se transforme en une mauvaise action qui obscurcit l’esprit. Dans « Princesse Mononoke », le sanglier Nago semble pris de folie au début du film d’animation. Pire : cette souillure peut être transmise par simple contact avec le Kami. Il contamine Ashitaka. Paria, il doit quitter le village pour briser le fléau. Le prince doit se purifier, à savoir « poser un regard sans haine sur le monde. » La tâche se révèle compliquée. La gangrène gagne son corps. De plus, cette période Muromachi favorise le chaos, l’instabilité politique et militaire.

Le symbole de la malédiction : des vers grouillants ou le yokai Tsuchinoko

Des vers grouillants sur le corps symbolisent la marque de la malédiction. Ce visuel du serpent peut s’apparenter soit aux Kodoku, soit au yôkai Tsuchinoko. Pour Ashitaka, elle se nourrit de sa haine et s’attaque à son bras. Quand il s’énerve, ce type d’animal apparaît autour de celui-ci, touché par le tsumi. Il obtient une force surhumaine.

Des apparitions inattendues :

Ces diverses créatures préfèrent l’ombre à la pleine lumière. Elles surviennent une fois l’obscurité installée. Ainsi, Totoro est perché sur une branche avec la lune éclatante en arrière-plan. Il pratique également sa danse de la plantation des graines avec les fillettes. 

Dans « le Voyage de Chihiro », Haku ordonne à celle-ci de quitter le monde des esprits avant la tombée de la nuit. Chihiro revient en courant auprès de ses parents transformés en cochons, mais elle croise des silhouettes noires dans les échoppes. Ce sont des Kami sans véritable forme. Non visibles pour l’œil humain, ils ne revêtent que la figure empruntée d’un lieu, d’un objet, etc.

Parfois, ils surgissent à la demande. Bienvenue au Chat-Bus ! Son sourire malicieux et ses irruptions au gré de ses envies et de son humeur nous renvoient au chat d’Alice. Mais Miyazaki s’inspire bien des yôkai-chats. En effet, tous les animaux vieillissants peuvent potentiellement se muer en monstre. C’est un Bakeneko, un raminagrobis tout puissant ! Il ressemble à s’y méprendre à un félin ordinaire. Mais plus il avance dans l’âge, plus il grandit. Plus sa queue s’étire en longueur et plus ses pouvoirs surnaturels augmentent. La liste de leurs possibilités semble infinie et inquiétante. Ils ont la capacité de : 

  • se déguiser en chatons comme en humains ; 
  • de manger ou tuer leur propriétaire voire de prendre sa forme en vivant à leur place ;
  • de réanimer des cadavres frais et de les utiliser comme des marionnettes ;
  • de jeter des sorts ; 
  • d’envoyer des boules de feu ; 
  • d’allumer des incendies ; 
  • de faire des farces… 

Dans « Totoro », le Chat-Bus possède une queue immense, signe de son appartenance aux yôkai. Son physique surprend : ses yeux dorés lui servent de phares. Ses 12 pattes lui fournissent une vitesse phénoménale de déplacement. Il se montre rapide sur l’eau, dans les airs ou sur les fils électriques. Il demeure invisible aux yeux des humains, du moins des adultes. Miyazaki a privilégié son côté espiègle et généreux. À la demande de Totoro, il aide Satsuki à retrouver sa petite sœur perdue.

le chat bus de Totoro, un ami précieux


La forêt entre surnaturel, enchantement et dangers

La forêt devient le lieu de tous les possibles : rencontre, danger, magie, quête initiatique, spirituelle… Qu’allons-nous trouver sur notre chemin ?

Le grand esprit de la forêt 

Le dieu cerf 

Le Shishi Gami, le grand esprit, est pourvu de 2 formes. La première, diurne, se manifeste sous la forme d’un cerf aux yeux rouges dont l’inspiration se veut taoïste. La seconde allure pointe au coucher du soleil. Colossal, surnaturel, d’apparence ectoplasmique, son visage est vaguement humain. Il avance lentement à travers la forêt. Ceci facilitera sa décapitation comme le recouvrement de sa précieuse tête, grâce aux soins de nos 2 héros.

Il n’est absolument pas une créature bienveillante. Il n’offre pas de bénédictions. Il représente simplement les lois naturelles, l’équilibre de la nature entre la vie et la mort. Il marche et délivre tour à tour soit l’une, soit l’autre. Voilà pourquoi San plante une branche à côté du corps d’Ashitaka gravement blessé. Cette divinité absorbera l’énergie de la plante pour la transmettre au jeune prince.

Il peut renvoyer au yôkai « Daidarabotchi », géant du folklore japonais. Ce sont des humanoïdes cyclopéens, avec une longue langue pendante et une peau noire. Leur taille et leurs mouvements façonnent le paysage : montagnes, vallées, lacs…



Totoro 

Voici un autre esprit de la forêt, attachant et iconique, mais tout aussi énigmatique. En effet, nous rencontrons 3 types de Totoro dans le film :

  • O-Totoro, une créature grise croisée entre le panda, le chat, le hibou et le tanuki ; 
  • Chû-Totoro, de taille moyenne et de couleur bleue ;
  • Chibi-Totoro, le plus petit, tout blanc, transporte un baluchon rempli de glands.

Ici, on parle du grand Totoro. Contrairement au dieu cerf, il vit près d’un village et interagit avec bienveillance avec les humains. Mais quelle est cette créature ? Sa nature semble bien complexe. Le père et ses fillettes rendent hommage au camphrier géant, demeure de Totoro. Il est entouré de la cordelette sacrée, « shimenawa. » Or, ce signe indique l’habitation d’un kami. Mais, lors de la 1re rencontre entre Mei et Totoro, elle lui demande son nom. Il grogne et elle interprète sa réponse en l’associant aux trolls, « tororu » en japonais. Comme la petite, il nous donne l’impression d’une peluche vivante sur laquelle s’endormir. 

les totoro


Doit-on y voir un dieu de la mort comme certaines théories le laissent à penser ? L’un des producteurs du studio Ghibli, Suzuki, balaye négativement cette affirmation en 2015. Finalement, serait-il un yôkai ? Plus particulièrement un Obake ? Cet esprit monstre, en référence au mot « bake », peut prendre la forme d’un blaireau, renard ou chat. Cette classe de yôkai surgit de façon bizarre. C’est le cas lorsqu’il arrive à l’arrêt de bus et joue avec le parapluie prêté par Satsuki.

Les Kodama

Littéralement « l’âme de l’arbre ». Dans la tradition japonaise, seulement quelques-uns en possèderaient une. Miyazaki a choisi de les représenter sous la forme de petits bonhommes blancs. Ces esprits sylvains surgissent en grand nombre après la blessure d’Ashitaka et l’apparition du Shishi Gami. À l’arrivée du dieu cerf, ils réagissent et tournent leur tête à 180 degrés dans un étrange bruit de cliquetis. Encore aujourd’hui, on voit des cordes sacrées autour des vieux arbres. Cette croyance populaire mentionne la présence de Kodama, protecteur de ceux-ci.


Les gardiens de la forêt 

Les premiers gardiens surviennent dans « Nausicaa », dans un monde post-apocalyptique.

Les Omu 

« Omu » semble inventé à partir de la prononciation japonaise de l’anglais « worm » (le vers) et du mantra bouddhiste, « Om ». 

Ils ressemblent à une entité majestueuse, mystérieuse et sensible. En effet, les Omu ressentent les émotions humaines et communiquent avec des sortes de fils ou filaments jaunes. Ils sont les protecteurs de la Fukai, dangereuse et toxique pour les hommes. D’une taille gigantesque, ils vivent en communauté. Leur naturel paisible s’illustre par leurs globes oculaires bleus. Ils seraient ainsi des Kami de la forêt, car ces derniers sont très liés à la nature.

Cependant, leur esprit de violence s’est réveillé sous l’effet de la haine. Leurs yeux deviennent alors rouges. Ils perdent la raison et détruisent tout sur leur passage. Nausicaa se sacrifie et sauve le bébé Omu à la fin du film. Ces gardiens peuvent briser la malédiction et la princesse est ressuscitée, en accord avec la prophétie.

Les animaux géants

Dans « Princesse Mononoke », de nouveaux défenseurs font leur apparition. Ces Kami protègent la forêt. Immenses, ils ont la faculté de parole et d’intelligence. Néanmoins, cette sylve se dépeuple en raison des activités humaines. D’ailleurs, certains d’entre eux sombrent définitivement dans la folie. C’est le cas des grands singes aux yeux rouges. Les sangliers, guidés par leur chef Okkoto, mènent l’ultime offensive. Une attaque kamikaze ! Peut-être aussi veulent-ils venger Nago, blessé par une balle tirée par dame Eboshi et rongé par le tatari ? Malheureusement, il était trop tard pour lui. La haine l’avait entièrement transformé et dévoré. Il dégénère en un démon dévastateur, un tatarigami. 

les dieux de la foret

Les loups deviennent le dernier rempart de la forêt. On parle d’ôkami en raison de leur apparence. De nombreuses variantes et légendes courent à travers le Japon. Elles illustrent la tendance naturelle de ces animaux à coopérer intelligemment en groupe et soulignent leurs capacités athlétiques. Ils mènent une guérilla contre la communauté du Tatara-ba.  

Seule Moro, la louve peut être vue comme un mélange de kami et de yôkai. La raison : elle possède 2 queues. Elle s’inspire du kitsune, car il en compte plusieurs. De plus, il protège souvent les lieux et parfois les humains, ici avec Ashitaka. Il détient puissance, force et intelligence. Il s’avère redoutable envers les hommes et les harcèle. Dans le film, ses attaques foudroyantes se montrent très efficaces. Mais Moro est blessée durant l’une d’entre elles, par une balle. Malgré ce poison lent, elle se comporte différemment du dieu sanglier. Elle attend la mort avec sérénité.  

Dans ce film, Miyazaki a choisi de représenter les Kami sous forme animale. Il s’éloigne ainsi de la tradition shintoïste. Par le langage, ils se métamorphosent en messagers de ses thèmes. Un dernier gardien un peu particulier attire notre attention : San.

Princesse Mononoke : la princesse possédée  

Le titre signifie mot à mot « la princesse possédée ». C’est seulement dans la version française qu’on l’appelle ainsi. Au départ, au XI (période Heian), ce terme « mononoke » renvoie à une maladie mentale. Cette dernière concerne uniquement les personnes du sexe féminin. Repris dans le roman de « Genji », il devient l’esprit des morts. Il revient et s’empare du corps des femmes.

princesse mononoke


Dans le film, les parents de San l’abandonnent devant la grande louve pour éviter d’être dévorés. Sans succès ! Elle les croque et élève la petite, mi-humaine, mi-loup. Elle est la 3e enfant de Moro. San signifie également le chiffre 3 en japonais. Elle porte quelque chose de mystérieux en elle, à mi-chemin entre le connu et l’inconnu. On pourrait la voir comme un esprit de la forêt. D’ailleurs, son allure, son masque et ses peintures corporelles la rapprochent du chamanisme et du shintoïsme. Elle exprime plusieurs mondes : celui des animaux, des dieux et des hommes. 

L’heure du bain pour les créatures surnaturelles dans « le Voyage de Chihiro »

Un imposant complexe balnéaire domine un village magique. Et si nous poussions la porte de ce monde pour voir ce qui s’y cache.

Une direction détonnante : une sorcière, un bébé et un monstre à 3 têtes 

Yubaba ou l’inspiration des sorcières Yama uba 

Yubaba réside tout en haut du palais, dans des pièces luxueuses et richement décorées. C’est une magicienne acariâtre et tyrannique envers son personnel, mais toute mielleuse face aux clients. En journée, elle ressemble à une femme âgée. La nuit, elle se transforme en oiseau, mais conserve sa tête. Miyazaki a puisé dans le folklore japonais avec le personnage de Yama uba. Sorcière des forêts et des montagnes, elle attire les voyageurs. Elle leur offre un abri, de la nourriture et un toit pour dormir avant de les dévorer dans leur sommeil. Les ténèbres éclairent sa véritable nature : laide, vieille et démoniaque. Dans le film, elle possède un autre don : voler le nom des personnes. Elle les maintient sous sa coupe. C’est le cas pour Haku ; Chihiro, elle, se voit affubler du diminutif de Sen. Néanmoins, Yama uba est associée à la maternité. Elle se révèle très maternelle avec son fils Kintarô, doté d’une force surhumaine. On peut considérer le bébé joufflu, Bô, comme la ressemblance avec celui-ci. Mais le cocon familial ne lui réussit pas ; son caractère pleurnichard et coléreux s’exprime un peu trop. La faute à Maikubi ?



Maikubi ou le monstre à 3 têtes

Le yôkai Maikubi, « têtes dansantes », est une créature monstrueuse formée de 3 têtes emmêlées. Il renvoie à l’ère Kangen (1243 – 1247). Trois samuraï (Kosanta, Matashige et Akugorô) étaient rivaux. Ils avaient l’habitude de se quereller pour un rien. Mais un jour, la dispute dégénéra et ils se décapitèrent tous les trois. Même une fois la décollation terminée, leurs corps continuaient le combat. Quant à leurs figures, elles se poursuivirent et finirent dans la mer ensemble. Depuis, on les aperçoit la nuit danser sur les vagues. Miyazaki a simplement retenu l’aspect entraînant et bagarreur de Maikubi. Pour le reste, il gère lamentablement son rôle de nourrice et de cerbère ! 

Le vieux Kamadji : l’homme-araignée

Heureusement, l’établissement des bains repose sur l’homme-araignée aux 6 bras. En effet, il ne s’agit pas d’un onsen, mais d’un sentô. Les eaux doivent être chauffées. Kamadji, « vieil homme à la chaudière en fer », se démène à la chaufferie au sous-sol, aidé des noiraudes. Sans lui, rien ne tourne ! Il passe le plus clair de son temps sur son lieu de travail. Il y dort ou prend ses repas tout en continuant à travailler. Des armoires l’entourent. Elles contiennent les herbes stockées pour les bains. Ses membres lui permettent d’y accéder sans avoir à se déplacer, voire sans se retourner. Il maîtrise la médecine et les sortilèges de ce royaume comme lorsqu’il reconnaît la plante médicinale dans la main de Chihiro.

Par son apparence, il ressemble au yôkai Tsuchigumo, « l’araignée de terre »,  monstre répugnant aux nombreux pouvoirs magiques. Il préfère vivre dans des lieux reculés (montagnes, forêts et grottes.) D’une taille conséquente, il s’attaque à des proies comme les humains. Son alimentation se compose de ces derniers et d’animaux. À l’image des autres yôkai araignées, il compte sur l’illusion et la ruse pour tromper les gens. Miyazaki s’est amusé à réécrire cet arachnide. Bourru et caractériel, il introduit cependant Chihiro à l’intérieur du palais. Il prétend être son grand-père pour la protéger quand Lin l’interroge. Le subterfuge ne dure pas bien longtemps, mais cette dernière se contentera d’un pot-de-vin, un triton rôti. Mais ne nous éternisons pas plus ! Accueillons sans plus tarder les clients.

Une clientèle pas comme les autres :

Mais attention, uniquement « la crème de la crème ! » Des dieux, démons, fantômes, yôkai…. Au programme : bain, relaxation et restauration. Le seul point délicat : emprunter une forme. Commençons par les premiers arrivants.

Les Kasuga sama 

C’est la nuit : un ferry illuminé accoste le quai et laisse débarquer ses passagers. Ils portent des masques étranges en papier, des zoumen. Des danseurs les exhibent lors d’un traditionnel rituel appelé « Ama », au sanctuaire shintoïste Kasuga. Nos visiteurs seraient des Kasuga-sama

noblesse fantomatique

De ces zoumen naissent des sokutai, vêtements revêtus uniquement par la noblesse japonaise. Néanmoins, leur corps s’apparente davantage à des ombres. Serait-ce des divinités ? Des esprits ? Malgré des réjouissances fort sympathiques, cet établissement des bains semble se dessiner sous un autre jour.

Le premier client de Chihiro 

Honnêtement, qui voudrait s’en occuper ? Titanesque, recouvert de boue, repoussant, il sent mauvais. Chihiro va devoir s’atteler à la tâche, secondée du sans visage et de Kamadji. Sous nos yeux, ce dieu putride se dévoile. Divers objets incongrus recouvrent son corps. S’il se trouve dans cet état, c’est en raison des activités humaines polluantes. Sa véritable forme rayonne une fois le rite de purification effectué, très important dans le shintoïsme. Son visage ressemble à un masque du théâtre Nô, celui d’un vieillard, avant sa transformation en dragon. C’est bien un Kami lié à l’eau. Ainsi, tous les habitués viendraient pour se purifier dans le sentô de Yubaba. Enfin, peut-être pas pour notre dernier personnage.

Le sans visage

D’apparence spectrale, presque sans corps, il est vêtu d’une robe noire et porte un masque du théâtre de Nô. Il se rapprocherait du yôkai Zumberabô, « face vide ». Ce dernier est représenté sans yeux, ni nez, ni bouche plutôt que sans visage. Dans le scénario original, Miyazaki l’utilise peu avant de le développer par la suite. Il croise notre route pour la première fois sur le pont en direction des bains. Il semble timide, solitaire, triste et incapable de parler. Mais, une fois dans le palais, sa personnalité dérape et évolue en un démon cupide. Il devient une grande bouche jamais rassasiée, un monstre de consommation. Lors de son épisode de gloutonnerie, il se rapproche du Gaki Kaonashi, fantôme affamé lié au bouddhisme. Il n’en a pas l’apparence, seulement la caractéristique de la goinfrerie. Serait-ce un gaki ou un kami ? Ou bien un mélange des deux ?

le kaonashi ou sans visage en français


Contrairement aux divers clients, le palace des bains amplifie le côté subversif et transformatif du sans visage. Il décuple sa folie et son avidité. À la fin, il dévore les habitants du palais pour les vomir un peu plus tard. Il bouleverse l’ordre établi imposé par Yubaba. Il doit quitter au plus vite ce lieu, pour lui-même comme pour les autres. Chihiro l’amène dans sa quête : libérer Haku, retrouver la mémoire et sauver ses parents transformés en cochons. Ils montent dans le train du rêve, hommage de Miyazaki à son auteur fantastique préféré, Kenji Miyazawa. Direction : la maison de Zeniba, jumelle de Yubaba. Celle-ci soigne le sans visage et le garde auprès d’elle, comme un conte de fées.


Yôkai, Kami, divinités et démons en tout genre : ils passent tous à la moulinette du génie de Miyazaki ! Il s’amuse et ses monstres payent les pots cassés. Et ce, pour notre plus grand plaisir ! Tour à tour, il jongle entre les réécritures, les réappropriations et l’imagination. Il magnifie et rappelle la richesse de la culture et de la tradition japonaise. Chacun de ses films est un voyage intérieur dans son univers en compagnie de ses créatures et ses thèmes de prédilection (défense de l’environnement, l’enfance, la technologie humaine…). 

Pour aller plus loin : 


Cet article nous a été proposé par Laury Poueyou. Merci à elle pour cette plongée fascinante dans l’univers de Miyazaki.

Toutes les images libres de droit utilisées dans cet article viennent d’ici.

Sophie - Cours de Japonais

Sophie, professeur de japonais depuis 2013, a créé sa formation OBJECTIF JAPON en 2020 et a accompagné depuis des milliers d’élèves dans leur apprentissage du japonais. Sur son site et sur les réseaux, elle partage les astuces qui lui ont permis d’apprendre elle-même le japonais.

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