Avez-vous déjà entendu parler du théâtre kabuki ? Cet art dramatique majeur de la culture japonaise est réputé difficile d’accès et n’est pas très populaire hors des frontières nippones.
Ces mois de novembre et de décembre 2022, les théâtres japonais fêtent leur réouverture progressive au public et la tenue de divers évènements jusqu’ici mis en suspend en raison de l’épidémie de Covid-19. Une belle occasion d’attirer l’attention du public japonais, mais aussi étranger sur la riche histoire du kabuki et sur les initiatives de ses acteurs phares.
Parmi eux, Ichikawa Danjûrô XIII est une véritable superstar. Militant pour faire connaître l’art du kabuki à travers le monde, il a notamment donné une interview au FCCJ Club (club des correspondants étrangers au Japon) pour annoncer une cérémonie très importante dans sa vie d’acteur : la célébration de son changement de nom.
Mais qu’est-ce que le théâtre Kabuki ? Quelle est cette histoire de changement de nom ? Et pourquoi quelqu’un porterait il un numéro accolé à son patronyme ? Ne vous inquiétez pas, je réponds à toutes vos questions dans cet article !
Qu’est-ce que le kabuki ?
Pour moi, répondre à cette question est plutôt difficile. Ou plutôt, il est facile de lui apporter une réponse de « surface ». Le monde du kabuki est bien plus complexe qu’on pourrait le penser au premier abord pétri de règles et le fruit d’une très longue Histoire.
Je vais donc essayer de vous expliquer ce qu’est le kabuki, mais si le sujet vous intéresse, n’hésitez pas à aller chercher d’autres sources qui en parleront plus en détail !
Le kabuki est un art dramatique. C’est un style de théâtre traditionnel japonais issu des milieux populaires, en opposition au bugaku (cérémonie de danse de la cour impériale) ou au théâtre Nô, tous deux arts dramatiques très anciens et réservés à la noblesse et aux samouraïs. Le Bugaku et le Nô sont réputés pour leur élégance et leur subtilité, alors que le kabuki se démarque par sa démesure et sa vivacité (certains diraient vulgarité). En effet, le kabuki mélange des performances de chant, de mime, de danse… il est aussi connu pour ses maquillages et costumes spectaculaires.
Le terme kabuki (歌舞伎 – かぶき) est composé de trois kanji : ka (歌) signifiant chanter, bu (舞) représentant la danse, et ki (伎) indiquant l’habileté. Dans son sens le plus littéral, « kabuki » signifie donc l’art du chant et de la danse.
Créé il y a quatre siècles, c’était un moyen d’expression considéré parfois comme « choquant » et controversé. Malgré tout, il s’est imposé comme un art majeur au Japon.
L’histoire du théâtre kabuki
La forme originale du kabuki date du début du XVIIe siècle, elle aurait été créée par une femme : une danseuse nommée Okuni. Celle-ci aurait commencé à parodier des prières bouddhistes (vous comprenez d’où vient la réputation « rebelle » du kabuki). Les prestations d’Okuni deviennent rapidement populaires, si bien que la jeune femme parvient à réunir une troupe d’artistes féminines autour d’elle. Les spectacles offerts par la troupe sont considérés comme le premier divertissement dramatique important conçu pour les gens du peuple et non pour la noblesse dans le pays.
Malheureusement, le gouvernement interdira aux femmes de se produire en 1629, fustigeant le caractère « sensuel » des danses et des chants. Les rôles féminins du kabuki sont dès lors interprétés par de jeunes garçons déguisés en femmes, mais cela sera interdit à nouveau en 1652. Ce sont alors finalement des hommes plus âgés qui reprendront ces rôles. Et, encore de nos jours, le kabuki est devenu un art exclusivement masculin.
Certaines pièces de théâtre kabuki sont devenues des « classiques » (un peu comme les pièces de Shakespeare ou de Racine en Europe) et sont jouées régulièrement. Elles permettent aux interprètes de prouver leur talent et leurs multiples capacités en chant, danse et jeu d’acteur.
Le kabuki évoluera en fonction tout au long de son histoire. Le kabuki de l’Ère Meiji étant forcément très différent de celui de l’après-guerre (c’est d’ailleurs assez passionnant).
Le lourd héritage des acteurs de kabuki
Les acteurs de kabuki ont une place spéciale dans le monde de la culture japonaise. Impossible de penser à eux comme à des acteurs de théâtre français.
Exclusivement masculins, ils sont souvent fils d’autres acteurs de kabuki, héritiers de génération en génération de cet art ancestral qu’ils doivent préserver à tout prix.
Chaque « famille » de kabuki transmet ses savoirs, sa manière de jouer et ses compétences de père en fils. Pour symboliser cette transmission, les acteurs prennent alors le nom de leur ancêtre, y ajoutant leur « numéro de génération » pour indiquer leur position dans cette longue lignée. Cela vous fait penser aux rois de France ? C’est exactement cela.
La pression est énorme pour ces jeunes garçons. Le kabuki est un art complet, très dur pour le corps et l’esprit des acteurs. Il demande une grande préparation et une grande maîtrise de soi. Pas de jours de congés pour les acteurs de kabuki ! Il leur faut travailler leur voix, etc.
Lors de son interview au FCCJ Club, Ichikawa Danjûrô XIII expliquait par exemple aller s’entraîner dans des temples aux côtés des moines. Il y pratique notamment diverses méditations extrêmes comme celle qui consiste à rester immobile devant un brasier intense.
La pression n’est bien évidemment pas uniquement physique ! Ces acteurs, très connus, sont de véritables « modèles » de vie, un symbole vivant de la tradition japonaise. Ils sont donc très surveillés et attirent énormément d’attention sur les réseaux sociaux ou même lors de leurs déplacements. (Cette pression ressemble un peu à celle que subissent les « idol » et, d’après Ichikawa, elle semble s’aggraver au Japon au fil des années.)
On l’a vu, le kabuki a connu de nombreuses transformations. Kabuki de l’Ère Edo, Meiji, d’après-guerre, kabuki contemporain… La mission des acteurs stars de la discipline est multiple. Il leur faut réussir à préserver et à transmettre les « classiques » du kabuki, mais aussi intéresser les jeunes générations pour éviter la disparition de cet art.
Ichikawa Danjûrô XIII représente parfaitement cette volonté d’allier tradition et modernité.
Ichikawa Danjûrô XIII, superstar du théâtre kabuki
Particulièrement connu pour son aragoto (荒事 – あらごと), un style « brut » de kabuki (l’aragoto est souvent opposé au wagoto un « style doux »), Ichikawa est l’héritier du style porté par son ancêtre Ichaikawa Danjûrô I, un acteur de la région d’Edo.
En 2019 il a annoncé son changement de nom pour suivre les traces de son père Danjûrô XII. Dans le monde du kabuki, ces changements de nom de scène sont célébrés avec un gala rendant hommage aux ancêtres de l’acteur. Malheureusement, la cérémonie prévue en mai 2020 fut annulée pour cause de pandémie. Elle aura enfin lieu lors de la reprise des performances ces mois de novembre et décembre 2022 au Kabuki-za (lieu emblématique de la discipline).
Surnommé « le prince du kabuki » par la Japan Society of New York, Ichikawa fait de son mieux pour populariser le kabuki au Japon et en dehors des frontières.
Il est devenu le premier acteur de kabuki à tenir des représentations commémoratives au Théâtre National de Chaillot à Paris et en 2007, la France lui a décerné son prestigieux Ordre des Arts et des Lettres en reconnaissance de son travail.
Plus étonnant, il a largement contribué à la modernisation du kabuki en proposant notamment en 2019 une nouvelle pièce kabuki Star Wars dans laquelle il joue avec son fils.
Voilà, nous vous avions déjà parlé des lutteurs de sumo sur ce blog, mais jamais encore du kabuki. Que pensez-vous de ce pan riche et complexe de la culture et des arts japonais ? Puisqu’il est impossible d’en faire un tour complet ici, voici quelques livres pour prolonger votre découverte du kabuki :
- Les costumes du Kabuki
- Le reportage Netflix sur l’acteur de drama Toma Ikuta s’essayant au Kabuki
- Les femmes dans le théâtre Kabuki
Si vous avez en tête d’autres ouvrages, podcasts, vidéos intéressantes pour en apprendre plus sur le kabuki, n’hésitez pas à nous le faire savoir en commentaire pour les partager avec la communauté ! Et sinon, pour continuer d’en apprendre plus sur la culture japonaise, n’hésitez pas à naviguer au gré de vos envies sur notre blog !
Un commentaire
Jean-Marie Bassinet
Bonjour et merci de cet article. Juste signaler que NHK World (244 TNT) diffuse souvent des pièces de Kabuki (émission matinale dédiée et animée en collaboration avec un acteur et traduite en anglais).