Tomoe Gozen (巴御前、ともえごぜん), ou dame Tomoe est sans aucun doute la femme samurai la plus connue du Japon féodal. D’une grande beauté, elle inspirait crainte et admiration autant chez ses alliés que ses ennemis. Formée aux arts de la guerre afin de défendre son foyer, notre héroïne rêvait de quelque chose de plus grandiose. Elle ne voulait pas être qu’une simple protectrice de la famille, comme l’étaient toutes les dames de son rang. Elle devint donc une onna-musha ou onna-bugeisha, une guerrière qui participait aux batailles aux côtés des hommes. Il est bien sûr inutile de préciser que c’était un cas rare, ou du moins, nous avons peu de traces écrites de filles aussi déterminées que Tomoe dans l’histoire du Japon. Mettez-vous en selle, et venez découvrir la légende de cette fabuleuse combattante qui n’a jamais abandonné ses rêves !
Tomoe Gozen, onna-musha
Une combattante hors-pair
L’histoire de Tomoe a souvent été déformée, voire enjolivée. On ne sait donc pas vraiment si ce qui est relaté s’est vraiment passé ou non. On la retrouve notamment dans Le dit des Heike, ou Heike no Monogatari (平家の物語、へいけのものがたり), un recueil poétique relatant la guerre de Genpei. Prenez donc avec des pincettes ce que vous allez lire, comme s’il s’agissait d’un mythe.
Cette samurai serait née en 1157, dans une famille de guerriers ou bushi (武士、ぶし). Sa mère était la nourrice de Minamoto no Yoshinaka, aussi appelé Kiso no Yoshinaka (1154-1184). Ce dernier devint son amant, mais également son général.
Elle commença, comme nombre de ses semblables, à apprendre dès son plus jeune âge l’équitation, le kenjutsu (剣術、けんじゅ) ou l’art de manier le sabre et le tir à l’arc. Même si la naginata était souvent l’arme préférée des femmes de la haute société, notre guerrière, elle, préférait utiliser son katana et son arc.
On disait de cette dame, qu’elle ne craignait ni les dieux, ni les démons. Ce qui en disait long sur sa détermination et sa fantastique aptitude martiale. D’ailleurs, on considérait qu’à elle seule, sa force équivalait à celle de 1 000 hommes. Oui, rien que ça. Yoshinaka la nomma même capitaine de ses armées, ce qui était une première pour une fille !
Petite parenthèse sur deux des armes favorites des dames guerrières
La naginata est une arme qui ressemble à une lance, avec à son bout, une lame courbée. Les onna-musha l’utilisait beaucoup, car elle était idéale pour porter des coups tout en restant éloignée. La naginata était aussi très efficace contre les cavaliers ennemis, cela permettait de toucher sa cible qui était dans une position plus élevée et donc avantageuse, tout en évitant de se faire piétiner par le cheval.
Le kaiken, quant à lui, ressemble à un sabre de petite taille, que l’on pouvait facilement dissimuler sous les vêtements. Bien discret, il servait en dernier recours : soit pour se défendre si la femme n’avait rien d’autre sous la main, soit pour se trancher la gorge. Car à l’inverse de leurs compères masculins, les dames ne pratiquaient pas le seppuku ou hara-kiri, qui étaient très douloureux. Cette forme de suicide en sectionnant la carotide s’appelle le jigai.
La guerre de Genpei : l’épopée de Tomoe Gozen
Bien qu’on ne la nomme pas assez ou très peu, Tomoe Gozen a tout de même joué un rôle important dans la guerre de Genpei, une des guerres civiles les plus connues du Japon, qui opposa deux clans : les Minamoto (源、みなもと) et les Taira (平、たいら). C’est d’ailleurs le kanji de leur nom qui constitue le nom de cette guerre, le « gen » pour « minamoto » (源、げん/みなもと) et le « pei » pour le « taira » (平、ぺい/たいら). Voyons donc en quelques lignes comment s’est déroulé le conflit.
Pourquoi cette guerre civile ?
Les Taira étaient très puissants au XIIe siècle. Néanmoins, leur soif de pouvoir et de violence déclencha une animosité envers ce clan. En 1177, l’empereur retiré Go-Shirakawa (1127-1192) tenta de renverser le premier ministre, Taira no Kiyomori (1118-1181), il échoua cependant. Ce dernier désigna son petit-fils Antoku (1178-1185) comme héritier du trône. Mochihito (1150-1180), qui était censé être le nouvel empereur s’offusqua, et décida de faire appel aux Minamoto, alors fervents rivaux des Taira.
Minamoto no Yorimasa (1106-1180) vint au secours de Go-Shirakawa et de son fils. Il n’était pas spécialement réputé pour ses qualités de bushi, mais plus respecté en tant que poète. Il se fit complètement balayer par ses ennemis et se suicida. Yoritomo (1147-1199) prit la relève. Il se fit vaincre rapidement, lui aussi. Il dut se retrancher à Kamakura pour rassembler une armée plus puissante. Ces Taira étaient décidément très coriaces et paraissaient invincibles, jusqu’à ce qu’un autre personnage ne fît son apparition : Kiso no Yoshinaka.
Les premières défaites des Taira
Yoshinaka, le cousin de Yoritomo, rejoignit la bataille et permit aux Minamoto de repousser les Taira hors de Kyôto.
En 1181, lors de la bataille de Yokotagawara, Tomoe ramena 7 têtes de chefs cavaliers. Cela peut paraître étrange aujourd’hui, mais la tête des ennemis était alors considéré comme un trophée de guerre.
En 1183, notre héroïne mena 1 000 hommes à la victoire lors de la bataille de Kurikara, ce qui fit fuir les Taira de Kyôto. Un autre haut-fait d’armes impressionnant de la capitaine fut qu’elle gagna la bataille d’Uchide no Hama en 1184. Pourquoi impressionnant ? Parce qu’ils n’étaient que 300 soldats face aux 6 000 Taira. Elle fut l’une des cinq survivants. Une véritable dure à cuire.
Go-Shirakawa récompensa le commandant Yoshinaka en le nommant « Asahi shôgun« . Néanmoins, ça ne lui suffisait pas. En effet, celui-ci avait goûté au goût savoureux qu’avait la victoire. Il en désirait alors bien plus…
Petite note : si Tomoe se battait pour les Minamoto (enfin surtout pour Yoshinaka), une autre dame, moins connue cependant, était du côté des Taira. Elle se nommait Hangaku Gozen. Elle aussi était réputée pour être très belle. Néanmoins, une particularité la différenciait des autres : elle était gigantesque, presque 1 m 90 ! Très douée dans les arts de la guerre, nous n’avons pas beaucoup d’informations sur elle à notre grand désarroi. Et je vois déjà votre déception : non, Tomoe et Hangaku ne s’affrontèrent jamais face à face. C’est vrai que cela aurait pu être un combat épique, mais non.
Yoshinaka et sa soif de pouvoir
Yoshinaka n’avait pas eu une enfance très heureuse. Sa famille avait été massacrée par son oncle, Yoshihira (1140-1160), le père de Yoritomo. Celui-ci avait également saisi son domaine. C’était peut-être donc pour cela que Yoshinaka avait préféré qu’on le nommât Kiso no Yoshinaka. Déjà à l’époque de leurs pères, un conflit interne dans leur clan gangrénait les Minamoto.
Mais lorsque Yoritomo exigea de son cousin de le reconnaître comme chef et d’abandonner pour de bon la propriété de son père (qu’il convoitait depuis son assassinat), Yoshinaka refusa. Bien qu’une réconciliation était à la clef, il ne pouvait accepter cela. Si son cousin ne voulait pas lui rendre son domaine, alors, il le prendrait et de force !
Ce fut à cet instant qu’il décida de comploter contre lui. Cependant, il avait également d’autres guerres à mener, notamment celle pour laquelle il s’était d’abord enrôlé… Se débarrasser des Taira, de Yoritomo et devenir chef des Minamoto : tels étaient ses objectifs. Et il eut forcément les yeux plus gros que le ventre.
La bataille d’Awazu, la chute de Tomoe et de son amant
La bataille d’Awazu en 1184 marqua la défaite de Yoshinaka et sa mort, ainsi que la fin de l’épopée de Tomoe. Malheureusement, lui et ses guerriers étaient en sous-nombre par rapport à l’armée de Yoritomo. Yoshinaka prit une flèche qui lui fut fatale. Mais avant de rendre son dernier souffle, il ordonna à sa fidèle capitaine de s’enfuir. On ne sait pas vraiment si c’était parce qu’il souhaitait qu’elle survécût. Ou parce qu’elle était une femme. Ce dont il advint de Tomoe Gozen suite à la défaite de son général ? Nous l’ignorons, en fait :
- certains disent qu’elle aurait refusé l’ordre de son supérieur et serait morte aux côtés de son bien-aimé, offusquée de l’insulte faite à son statut de samurai ;
- d’autres affirment qu’elle aurait fui, respectant la dernière volonté de son amant. Cependant, avant de le faire, elle aurait voulu lui montrer une dernière fois sa valeur, en décapitant un ennemi qu’elle jugeait « digne » d’elle ;
- elle se serait remariée par la suite avec un autre guerrier ;
- on raconte aussi qu’elle aurait abandonné le bushidô (武士道、ぶしどう), la voie du guerrier, pour se reconvertir en nonne. On ne découvrira probablement jamais ce qu’elle devint réellement.
Après avoir achevé son cousin et son armée, Yoritomo réussit pour de bon à écraser ce qu’il restait des forces des Taira. Sa victoire marqua la fin de l’ère Heian, et le début d’une nouvelle époque : celle de Kamakura (1185–1333). Le bakufu (ou shôgunat) devint un nouveau système politique autoritaire, un temps où la classe des samurai dominait tout, sans partage.
Vous en savez maintenant plus sur cette légendaire combattante. Et bien qu’il y eut sûrement d’autres femmes samurai, nous n’en retrouvons que trop peu dans les chroniques. Connaissiez-vous Tomoe Gozen ? Souhaiteriez-vous connaître l’histoire d’une autre onna-musha, comme Nakano Takeko ? N’hésitez pas à me le dire dans l’espace des commentaires !
Article écrit par Leïla Casarin
6 commentaires
Rémy
Konnichiwa.
Beau travail de recherche.
Merci pour ce récit, très intéressant.
Sayonara.
Massimo
Si, mi piacerebbe sapere di Nakano Takeko! Anyway, *COMPLIMENTI!!!* 🥇 Take care of yourself! « Arigato Gozaimasu »! Cia »Oss »!